à Rome ce 2 septembre 1803
Monsieur
Il y a très longtems que je ne Vous ai plus écrit. Par la lettre du Cardinal Borgia Vous savez que j’ai reçu la Votre du 11 juillet. Du commencement ç’a été des occupations pressantes qui m’ont détourné d’y repondre, dans la suite un état maladif qui à la fin m’a produit une fièvre succontinuelle qui menaçoit des mauvaises suites et qui m’a reduit à garder le lit pendant plus de deux semaines. Actuellement par l’assistance du brave Médecin Allemand M. Kohlrausch je m’en trouve délivré, mais je ressens une extrême foiblesse et il m’est resté une fluxion aux yeux, de façon que je ne puis pas encore reprendre mes fatigues ordinaires. On me conseille de passer quelques semaines à la campagne, ce que je ferai peut être à Albano dans la compagnie du Prince de Mecklenbourg qui y reside depuis la mi-juin et qui m’a invité chez lui.
Vous avez fort bien fait, Monsieur, de differer de passer à Rome avec Madame Votre Epouse jusqu’à l’automne, car cette été s’est montrée jusqu’à present extraordinairement malsaine. On ne parle à Rome et dans ses environs que de morts et de malades. Vous ignorez peut-être le malheur de notre ami le Baron de Humboldt qui à l’Ariccia a perdu son fils ainé, et dont le cadet transporté malade à Rome à peine a pu être sauvé par la science et les soins indefatiguables du D. Kohlrausch, après avoir été pendant quelques jours presque sans esperance. La mort de son domestique Allemand a précedé celle de son fils ainé, dans un tems qu’il se trouvoit lui même incommodé d’une fievre produite par un mal de gorge, et Made de Humboldt aussi souffroit des crampes de poitrine. Tout le reste de sa famille, y comprises les servantes, ont eu la fievre ou l’ont encore. La situation desolante de cette maison, autrefois si gaie, la seule que j’avois coutume de frequenter, et dont les maitres sont les personnes les plus aimables que je connoisse ici, a contribué à déprimer mon esprit, les nouvelles que j’en recevois par notre medecin commun augmentoient mon mal. Maintenant le petit Théodore est hors de danger, M. de Humboldt et son épouse se portent bien malgré les veilles nocturnes qu’ils continuent à faire au lit de leur fils unique, et l’état de leurs filles quoiqu’encore malades n’a rien de menaçant. Il m’a prié de Vous dire que les circonstances dont je Vous ai parlé l’ont empeché de repondre à Votre derniere lettre, ce qu’il fera assurement dans la semaine prochaine.
Notre compatriote Thorvaldsen se trouve d’une mauvaise santé il y a plusieurs semaines, et puisque le mal menaçoit de devenir très serieux il s’est à la fin soumis à la direction de M. Kohlrausch, que le ciel paroit avoir envoié à Rome dans ce conjonctures pour assister les étrangers qui se fient très peu des Mèdecins Romains, et à ce qui semble pas sans raison. L’ébauchement du Jason est très avancé, et Thorvaldsen a employé cet intervalle à modeller un très beau basrelief en demi nature, Briséis ravie à Achille par les messagers d’Agamemnon. Cependant sa mauvaise santé qui ne lui permettoit plus d’y travailler, l’a obligé de le faire mouler avant d’en être lui même entierement satisfait.
Vous avez sans doute entendu parler des fouilles qu’on fait ici autour de l’arc de Severe et parmi les ruines des thermes de Titus. J’ai vu l’arc presque découvert, mais comme à present il y a longtems que je n’ai plus pu faire des courses dans ces environs, je ne sais pas jusqu’où on soit parvenu ni quel ait été le resultat de ces entreprises.
Vous comprenez que l’impression de mon ouvrage a souffert un retard très notable, ce qui est d’autant plus facheux qu’avant ma maladie elle avoit déja été retardée par manque de papier à l’imprimerie, de façon qu’au lieu d’être à la moitié, comme elle auroit pu être, ce qui se trouve imprimé n’est qu’environ une quatrieme partie du total, et la foiblesse de mes yeux m’empechera encore pour quelque tems de me prêter à la correction.
Heureusement avant de tomber malade j’avois rammassé un nombre suffisant de livres pour la Bibliotheque de Kiel, pour en remplir une caisse qui dernierement a été expediée à Livourne par M. Romero, addressée à M. le Consul Ulrich, auprès duquel je Vous prie de Vos bons offices afin qu’il cherche de l’envoyer à Hambourg au plutôt possible. Je desire beaucoup de donner à ces Messieurs des preuves de mon zele pour la bibliotheque, comme en verité je n’ai épargné aucune fatigue pour retrouver les livres qu’ils desiroient, et j’ai eu le bonheur d’en procurer à un prix assez raisonnable plusieurs que je ne m’attendois pas de trouver ici.
Je viens de recevoir par un ordre de Mss. les directeurs de la Banque d’Altona le second trimestre des 500 écus Danois qu’on m’a accordés de la caisse du Roi, sans être encore bien instruit touchant la personne qui me les envoit. Car jusqu’à present je n’ai encore aucune reponse de l’ami auquel j’en avois donné la commission, ce qui m’empeche d’arranger l’affaire pour l’avenir, en lui donnant une commission plus ample.
Du Curateur C. de Reventlow j’ai eu une lettre où il me fait part formellement de la dilation qui m’a été concedée jusqu’au printems prochain: or je repose sur Vous pour en obtenir la prolongation. Nous concerterons cela lorsque Vous serez à Rome. Je sais que Vous voulez très serieusement mon bien, et tous m’assurent que Vous pouvez beaucoup, comme Votre beaufrere peut tout. J’espere aussi de gagner M. de Hauch.
Vous connoissez sans doute le Comte de Moltke qui se trouve à Florence dans l’intention de venir à Rome, et dont on me dit un monde de bien.
Dois-je me flater de recevoir quelques lignes de Vous quand de nouveau Vous ecrirez à M. de Humboldt? Je ne Vous repete plus que Vos lettres sont la chose qui le plus m’encourage dans la situation vacillante de mes affaires. Je sais bien qu’à la campagne on est peu porté à écrire des lettres, surtout lorsqu’on se trouve avec un objet cheri, dont la santé reclame notre attention; mais une couple de lignes suffisent pour me rassurer de la continuation de Votre bienveillance.
Le bruit de mon livre Coptique a éveillé un savant Danois que j’ai connu ici et qui déja longtems meditoit un ouvrage sur certains manuscrits en cette langue. Il m’a écrit en me communiquant son plan et me demandant si nous pouvions venir en collision, ce qui n’est pas le cas. Tout au contraire la chose m’a fait du plaisir, puisque cela doit contribuer à exciter d’avantage l’attention de nos compatriotes et à donner un air d’importance à l’entreprise.
Agréez, Monsieur, la sincerité de mon attachement et des voeux que je fais pour tout ce qui Vous interesse.
G. Zoëga