Rome, ce 9 juin 1838.
Mon très-respectable Ami,
Je voulais vous donner de mes nouvelles depuis bien longtemps; c’était toujours un désir bien sensible à mon coeur; mais si je n’ai pu le faire plus tôt, je vous prie de me pardonner, par la raison que mes trop grandes occupations m’en avaient continuellement empêché. Je dois aussi vous dire que j’avais toujours l’espoir flatteur d’avoir le bonheur de vous voir et de vous embrasser sur peu; malheureusement mes affaires s’y opposent, et elles me privent d’une jouissance qui eût été pour moi la plus heureuse de toutes.
Que ma satisfaction eût été grande si j’avias pu, à mon départ de Rome, faire mon voyage par Paris! L’admiration que j’aurais éprouvée à l’aspect de tant de chefs-d’oeuvre que vous avez exécutés depuis votre départ d’ici, aurait produit le plus grand bonheur sur mon âme; car vous savez, mon très-cher et tendre ami, que pour moi vous êtes et vous serez toujours le premier peintre du siècle. Je crois que je partirai bientôt pour ma patrie par une frégate danoise que le gouvernement a mise à ma disposition, et privé du bonheur comme je le suis de pouvoir vous visiter, je dois pourtant vous observer que je ne manquerai pas de m’acquitter de ce devoir à une autre occasion.
Maintenant il me reste à vous demander une grande faveur; à cet égard les détails vous sont déjà expliqués dans une lettre de notre ami Rienhart [et par un post-scriptum de M. Ingres] qui vous doit arriver en même temps que la présente.
Une lettre de M. Bartholdi, arrivée avant-hier à M. Ingres, nous fait connaître qu’il croit devoir abandonner M. Sievert, son parent. Monsieur Ingres a expédié une autre aujourd’hui à M. Bartholdi, et dans laquelle il le persuade finalement, que, malgré les raisons qu’il nous fit connaître, il lui serait humainement impossible de pouvoir abandonner ainsi un jeune homme lequel étant capable de le persuader au milieu de sa carrière, et de ses études d’un beau succès et heureux avenir.
Tous ceux qui connaissent M. Sievert lui portent le plus vif intérêt, sa triste position l’inspire, puis vous ne doutez ce que c’est un étranger à Rome qui depuis six mois n’est obligé de vivre que sur le crédit qu’on lui fait.
Nous lui souhaitons le succès désirable de toutes nos âmes; votre esprit éclairé et votre grande imagination seront en cette grave circostance la meilleure protection pour ce jeune homme, et moi je vous en serai éternellement reconnaissant par rapport de la bienveillance que vous aurez pour lui.
Veuillez, je vous prie, vouloir m’accuser un mot de réponse pour me dire si vous jouissez d’une parfaite santé, et pour me faire connaître le résultat final de la demande adressée à M. Bartholdi en faveur de M. Sievert, son parent.
Dans cet espoir, je vous prie d’agréer mes complimens et très-respectueux attachement, avec lesquels je vous embrasse du fond de mon coeur.
Votre très-devoué ami,
Albert Thorvaldsen
P.S. – C’est aussi avec la plus vive satisfaction que j’espère d’apprendre de bonnes nouvelles de votre très-chère famille, car avoir appris que vous avez déjà acquis le titre de grand-père était un extrême plaisir pour moi.