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La sculpture n’a pas été cultivée avec un grand succès chez les Allemands, d’abord parce qu’il leur manque le marbre qui rend les chefs-d’oeuvres immortels, et parce qu’ils n’ont guère le tact ni la grâce des attitudes et des gestes, que la gymnastique ou la danse peuvent seules rendre faciles; néanmoins un Danois, Thorwaldsen, élevé en Allemagne, rivalise maintenant à Rome avec Canova, et son Jason ressemble à celui que décrit Pindare, comme le plus beau des hommes; une toison est sur son bras gauche; il tient une lance à la main, et le repos de la force caractérise le héros.
J’ai déjà dit que la sculpture en général perdoit à ce que la danse fût entièrement négligée; le seul phénomène qu’il y ait dans cet art en Allemagne, c’est Ida Brunn [sic], une jeune fille que son existence sociale exclut de la vie d’artiste: elle a reçu de la nature et de sa mère un talent inconcevable pour représenter par de simples attitudes les tableaux les plus touchants, ou les plus belles statues; sa danse n’est qu’une suite de chefs-d’oeuvre passagers, dont on voudroit fixer chacun pour toujours: il est vrai que la mère d’Ida a conçu dans son imagination, tout ce que sa fille sait peindre aux regards. Les poésies de madame Brunn font découvrir dans l’art et la nature mille richesses nouvelles que les regards distraits n’avoient point aperçues. J’ai vu la jeune Ida encore enfant représenter Althée prête à brûler le tison auquel est attachée la vie de son fils Méléagre ; elle exprimoit, sans paroles, la douleur, les combats et la terrible résolution d’une mère; ses regards animés servoient sans doute à faire comprendre ce qui se passoit dans son coeur; mais l’art de varier ses gestes et de draper en artiste le manteau de pourpre dont elle est revêtue produisoit au moins autant d’effet que sa physionomie même; souvent elle s’arrêtoit long-temps dans la même attitude, et chaque fois un peintre n’auroit pu rien inventer de mieux que le tableau qu’elle improvisoit; un tel talent est unique. Cependant je crois qu’on réussiroit plutôt en Allemagne à la danse pantomime qu’à celle qui consiste uniquement, comme en France, dans la grâce et dans l’agilité du corps.
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