Rome le 7 Novembre 1803
Madame la Comtesse
Pardon si un inconnu ose s’adresser à Vous; mais on dit que Vous êtes si bonne, si sensible aux malheurs d’autrui, et si j’en juge d’après l’excellent Coeur de Votre respectable Frere, je dois Vous supposer la Dame la plus accomplie qui puisse exister. On m’a toujours dit Madame la Comtesse que Vous ne cessiés de faire le bien, que Vous Vous interessiés aux Arts, aux Artistes, et a Ceux qui ont des talents. Les miens ne sont enverité pas forts grands, mais je sens que si le destin se lasse de me persecuter, je ne serai pas indigne d’etre Votre Compatriote Madame la Comtesse. Je sais que Monsieur Votre frere Vous a parlé de moi, de mes ouvrages, et de mes malheurs. Il Vous aura dit ce que son Coeur sensible lui aura inspiré, et je suis bien persuadé qu’il Vous a trop dit, mais je ne Vous cache pas que si par Vos bontés je pouvois obtenir de quoi vivre encore deux ans, je deviendrai un artiste habile. Vous voyés Madame la Comtesse que j’ose Vous parler avec franchise même au depends de la modestie, et cela Vous prouve combien ma confiance en Vous est grande. Si le Roi m’accorde quelque secours, je m’engagerai à travailler pour Sa Majesté. On n’a qu’a me donner le sujet que j’excécuterai avec enthousiasme puisqu’il s’agira de me rendre digne de Votre bienveillance. Les fraix du marbre devroient etre pour le Compte de la Cour parceque je n’ai aucun moyen pour y supléer moi meme; mais l’ouvrage seroit excecuté a raison de ce qu’on me donneroit anuellement, et pour m’acquitter envers un Gouvernement paternel qui ne me doit rien, mais auquel je dois tout le bonheur qu’il repand sur ma chere patrie.
Ma hardiesse est grande Madame la Comtesse de m’adresser à Vous; mais Votre bonté est plus grande encore, et cela me rassure. D’ailleurs c’est Monsieur Votre Frere qui m’a donné du Courage, et c’est lui qui me permet de Vous écrire tandis que je n’ose pas meme m’adresser à Son Excellence le Comte Reventlow qui fut de tout tems mon protecteur, et moins encore a Son Excellence Monsieur le Comte Votre Epoux, quoique je sache qu’il a la plus belle ame, et le caractère le plus noble.
J’ai l’honneur de me signer avec le plus profond respect et la plus grande admiration
Madame la Comtesse
Votre très humble et très obeissant serviteur