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NN December 1847 [+]

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MÉMOIRES.
SUR LA VIE ET LES OUVRAGES DE BARTHELEMY-ALBERT TORWALDSEN.

Heureuses les villes où les sciences et les arts sont en honneur ! Les jouissances des sentiments moraux restent aux peuples qui les habitent; et, dans ces temps d’indifférence, ils conservent du moins une religion, un culte pur, élevé, celui du beau.

Le matérialisme ne s’est point établi chez ces peuples privilégiés en dominateur aveugle; il n’en a point chassé les célestes inspirations du génie, les riants produits de l’imagination ; le goût, l’esprit, la raison n’ont point cédé le pas aux intérêts matériels; le cœur aux froids calculs de l’égoïsme et de la cupidité.

Ces réflexions me sont suggérées par le souvenir des honneurs rendus naguère a l’un des grands statuaires de notre époque, au rival de Canova : je veux parler de Torwaldsen et des marques d’affection dont il fut comblé dans son pays par le chef de l’Etat, qui, appréciant son talent supérieur, reconnut en ce grand représentant de l’art, comme une émanation de la divinité, comme un esprit supérieur destiné a refléter dignement ses œuvres.

Torwaldsen, ainsi que beaucoup d’hommes célèbres, est sorti de celle classe de la société qu’on appelle le peuple, de cette classe où le germe des grandes choses semble avoir été déposé et qui, de temps en temps, vient fournir aux nations dégénérées des rejetons pleins de sève, des hommes remplis d’enthousiasme, de patriotisme, des intelligences de premier ordre.

Tels furent, parmi les statuaires de nos jours, Canova et Torwaldsen : l’un fils d’un humble tailleur de pierre, naquit au pied des Alpes, et, par son génie, s’éleva au-dessus d’elles ; l’autre, fils d’un pauvre ouvrier islandais, vint au monde en pleine mer, comme s’il devait en naissant se trouver en présence des grands spectacles de la nature pour en être le fécond interprète.

Gotskalk Torwaldsen s’était embarqué pour venir chercher fortune à Copenhague, lorsque, pendant la traversée, sa jeune épouse mit au jour, le 9 novembre 1770, entre Copenhagueet Raisciawick, Barthélemy-Albert Torwaldsen dont le talent éclos dans les glaces du Nord devait se réchauffer, s’épanouir sous le brillant climat de l’Italie.

On prétend que la mère de Torwaldsen, fille d’un ecclésiastique, descendait du roi Harold Stiltedand; et pourtant son mari gagnait sa vie à sculpter ces figures de bois qu’on place à la proue des navires.
Dès sa plus tendre enfance, Albert annonça de grandes dispositions pour le dessin et beaucoup de penchant pour la profession de son père ; vivement impressionné, sans doute, par ses figures allégoriques, aux traits prononcés, qui plaisaient à sa jeune imagination, il s’enthousiasma pour les arts.

Bien que fort pauvres, les parents du jeune Albert ne reculèrent devant aucun sacrifice pour favoriser le goût dominant de leur fils ; ils le soutinrent dans sa passion pour le beau, et eurent l’indicible joie d’en être récompensés par les succès continuels qu’il obtint à l’Ecole des beaux-arts de Copenhague. Albert ne fut pas ingrat; son excellent cœur, en même temps qu’il servait de guide à son intelligence, lui prescrivait le devoir bien doux de venir en aide à ses parents; il fit à cette époque des sculptures qui sont encore conservées, et où l’on découvre les germes de son talent. Tout en travaillant, il suivait l’école, en remportait les prix. Son ambition semblait alors se borner à succéder à son père, mais la Providence le destinait à faire une révolution dans la décoration des édifices religieux de son pays, à meubler les murailles nues des temples du protestantisme, à les sanctifier par l’image du Rédempteur et de ses disciples dont il devait décorer la cathédrale de Copenhague.

L’amitié que lui voua le peintre d’histoire Abildgaard et les leçons qu’il donna au jeune artiste, le soutinrent dans son élan vers le beau, lui inspirèrent plus d’assurance en ses propres forces et lui valurent des succès constants. En 1787 il obtint la médaille d’argent; en 1789, un deuxième prix; en 1791, sa composition d’Héliodore chassé du temple lui acquit la médaille d’or et le patronage d’un ministre, le comte Reventlow. Enfin, en 1793, il remporta le grand prix de Rome qui lui valut une pension de 500 species-thalers (2600 fr. environ) pendant quatre ans que les pensionnaires de son pays passent dans la métropole des arts. Des circonstances bien impérieuses sans doute empêchèrent l’artiste norwégien de voler de suite vers l’Italie; il eut la constance de rester encore deux années à Copenhague occupé d’études sérieuses. Un méridional fut mort d’impatience ; enfin, le 20 mai 1796, il s’embarqua à bord d’une frégate danoise pour voguer vers le pays des chefs-d’œuvre; par une sorte de fatalité, la traversée fut des plus longues ; on fut obligé de relâcher dans un grand nombre de ports, et ce ne fut qu’en mars 1797, après dix mois de voyage, qu’il arriva à Rome où il eut le bonheur de faire la connaissance du savant Danois Zoéga, dont la vive amitié et les judicieux conseils lui furent très-utiles.

Pendant deux années il travailla jour et nuit à méditer sur les ouvrages de l’art: il hésitait encore entre la sculpture ou la peinture, lorsqu’une visite qu’il fit au musée du Vatican lui révéla sa vocation pour le premier de ces arts.

Les études qu’il fit alors furent des plus sérieuses ; sans cesse en présence des modèles antiques, il était désespéré de ne pouvoir atteindre à leur haut degré de perfection; en rentrant dans son atelier, il brisait ses statues malgré les encouragements de ses amis, qui lui promettaient un brillant avenir.

Une pensée bien triste venait ajouter à son découragement; le moment arrivait où les quatre années qu’il devait passer à Rome allaient expirer ; modeste, peu solliciteur, inconnu, n’ayant plus les moyens de rester en Italie, le jeune Danois songeait à revenir dans sa patrie; il s’était même déjà muni de son passeport, lorsque, la veille de son départ, le riche banquier hollandais Thomas Hop, frappé des beautés du modèle de la statue colossale de Jason, qu’avait fait l’artiste, lui en commanda l’exécution en marbre, au prix de 500 sequins.

Torwaldsen connut alors le bonheur ; il vit l’avenir s’ouvrir devant lui, la reconnaissance lui donna de nouvelles forces, et releva son courage ; il travailla avec ardeur, avec passion; aussi produisit-il une œuvre des plus remarquables. De ce jour sa réputation et sa fortune prirent un brillant essor ; et bientôt, ses œuvres furent avidement recherchées parles plus riches amateurs de l’Europe, qui l’encourageaient à en créer de nouvelles.

La fécondité de son talent semblait inépuisable, tellement il produisait d’œuvres diverses d’une grande dimension.

Malgré le mérite incontestable de ses œuvres, tout le monde ne connaît pas les ouvrages de cet homme célèbre. Je vais essayer de donner une Idée de la vive impression que je ressentis en les voyant.

Parmi les nombreux travaux qui lui furent commandés par Frédéric VI, roi de Danemark, on distinguait, en 1843, dans son atelier de la Caza-Buti, Piazza Barberini, à Rome, les statues et bas reliefs destinés à la cathédrale de Copenhague. Cette cathédrale, érigée dans le style grec, a été disposée pour faire briller les chef-d’œuvre de la sculpture, afin que ce grand art serve encore au peuple d’enseignement religieux , alors que la parole du ministre de l’Evangile a cessé de se faire entendre.

A l’extérieur, le sujet de la décoration du fronton de ce temple représente saint-Jean-Baptiste annonçant au peuple la venue du Rédempteur.

Les péristyles ont dû recevoir la sybille Erythrée, celle de Cumes et les prophètes Isaïe et Zacharie, qui ont prédit aux nations la venue du Christ.

Dans l’intérieur de la basilique, des deux côtés de la nef, se montrent les douze apôtres, et, au point central du fond de l’édifice, se détache d’une manière majestueuse la statue colossale du Fils de Dieu.

La disposition, le mouvement et l’expression des groupes qui nous montrent Jean prêchant dans le désert, révèlent en tout l’inspiration du grand maître. Cette vaste composition n’est point un bas-relief ordinaire, mais un ouvrage composé de statues plus grandes que nature, dans le genre de celles des frontons des temples grecs et romains ; quelques-unes de ces statues, vues de près, semblent manquer de simplicité par les draperies qui paraissent un peu tourmentées dans leurs détails.

La figure de saint Jean occupe le milieu du fronton; le précurseur est monté sur une petite colline d’où il domine ceux qui l’écoulent ; de la main droite il montre le ciel ; dans la gauche il lient une croix de roseau ; sa figure est remplie de dignité ; de ses lèvres paraissent découler les paroles pleines d’onction qui attirent à lui la multitude ; autour de lui sont rangés divers groupes d’auditeurs qui contrastent admirablement par l’âge, le sexe, le mouvement et le costume.

Le style de ce bas-relief est majestueux et grave, vous croiriez entendre la parole de Jean frapper vos oreilles, tant ceux qui l’environnent semblent calmes et attentifs ; on regrette seulement de voir quelques groupes, trop isolés les uns des autres, laisser dans l’ensemble des places vides, qui forment un nu désagréable à la vue et ôtent de l’unité d’action au Sujet.

Les statues dés douze apôtres, composées pour la décoration de l’intérieur du temple, sont beaucoup plus hautes que nature, celle du Christ est colossale ; le divin Rédempteur est entouré de ses disciples, leur expression, leur pose, leurs mouvements, leurs attributs, les caractérisent parfaitement ; ils sont drapés avec tant de vérité et de naturel qu’on croit retrouver en eux quelque chose de la simplicité sublime du Nouveau-Testament Le génie de l’artiste s’élève dans la création de ses figures et semble grandir encore pour caractériser dignement la divinité.

Tous les traits du Sauveur des hommes respirent la douceur et la majesté ; les larges plis du simple manteau qui le recouvre sont d’un beau style et retombent avec une simplicité et une grandeur admirables; sa tête suave, aux cheveux lisses et pendants sur ses épaules, à la nazaréenne, est pleine d’une bonté céleste, ses bras ouverts par un mouvement bienveillant et rempli d’attrait semblent appeler à lui ses enfants.

Le caractère simple et noble de l’artiste danois se reflète partout dans ses ouvrages, aussi est-ce avec supériorité qu’il a traité de pareils sujets tout-à- fait analogues à sa manière de sentir.

La richesse de son esprit lui a permis néanmoins d’assouplir son talent à différents genres; pour nous en convaincre, après avoir admiré les compositions qu’il a dédiées à Dieu, jetons un regard sur celles qu’il a consacrées à un héros.

Cet immense bas-relief, ce magnifique triomphe que le visiteur remarque en entrant dans l’atelier de Thorwaldsen est celui dont un de nos grands maîtres, David d’Angers, a dit “quant à la frise qui représente le triomphe d’Alexandre, elle est regardée comme un chef-d’œuvre.” Qu’il est beau, en effet, ce chef-d’œuvre! Quelle grande et glorieuse page se déroule de la porte de ce vaste atelier, pour ne se terminer qu’à la fin ; du côté des vainqueurs le mouvement, le bruit, le tumulte, les chants de victoire semblent se faire entendre ; de l’autre, l’immobilité, le calme, des actes suppliants attristent les yeux : que d’intéressantes oppositions, l’artiste a su répandre dans toutes les parties; quelle richesse d’invention; quelle variété de costume, quelle différence de types nous montrent les deux nations; avec quelle gradation et quel art l’auteur dispose ses groupes, leur donne plus de mouvement et d’animation, à mesure qu’ils approchent du triomphateur; quelle idée heureuse de le placer au milieu du sujet, comme pour recevoir les peuples qui viennent au devant de lui, comme pour être en exemple à son armée qui le suit.

Cet ouvrage colossal fut commandé à l’artiste par l’Alexandre des temps modernes, Napoléon, pour orner la frise d’une grande salle du palais Qui- rinal à Monte-Cavallo à Rome, il orne également la salle de reception du château de Christiansburg. Le comte de Sommariva fut tellement frappé des beautés de ce chef-d’œuvre, qu’il pria l’auteur de l’exécuter en marbre pour sa villa du lac de Còme, où il le plaça parmi les richesses de l’art qu’il y avait rassemblées.

Quinte-Curce est l’auteur qui a suggéré à l’artiste cette fidélité consciencieuse que l’on retrouve jusque dans les moindres détails de ce triomphe asiatique. Plutarque aux vues plus élevées semble l’avoir soutenu dans son admiration pour le vainqueur de Babylone, en imprimant à l’œuvre du statuaire, quelque chose du style dont ‘l’historien grec s’est servi pour caractériser ses hommes illustres.

De même qu’un habile orateur ne s’élève à des mouvements d’éloquence qu’à mesure qu’il aborde complètement son sujet; de même aussi procède le grand artiste: voyez en effet, combien est calme, j’allais dire triste, le premier groupe ; tout y est immobile ; la vie, l’action paraissent être complètement suspendues. Une famille persanne ne pouvant souffrir la domination du vain queur, abandonne la ville ; des balles, des paquets sont placées à terre. Un guide dans l’attitude du repos, le pied sur une de ces balles attend qu’on charge un chameau, s’occupe à le regarder et paraît peu songer au triomphe. Un homme dans la vigueur de l’âge, la tète pleine de regrets et sous l’impression de déchirants souvenirs, les traits animés de l’amour du pays, lient sous le bras un ballot et avant de le charger pour fuir le Macédonien, auquel il tourne le dos, semble, les yeux fixés vers ses brûlantes régions, la main tendue vers l’arbre cher aux poètes, exhorter un jeune garçon à toujours aimer la patrie, à mériter quelques-unes de ces palmes que l’arbre semble naturellement lui offrir. Le jeune disciple est bien digne de recevoir ses conseils ; son attitude, son mouvement, sa pose énergique, ses mains croisées sur la poitrine, sa figure rayonnante où se reflète sa passion pour le sol natal, tout en lui annonce qu’il ne laissera pas éteindre les nobles sentiments qui l’animent, bien qu’il soit obligé de les dissimuler peut-être.

Un jeune enfant, plein de naïveté et de grâce, grimpé sur le dos du chameau, les regarde au lieu de chercher à voir le triomphe; à l’immobilité de sa pose, à l’air pensif de sa jeune tête, si expressive, on sent, malgré son jeune âge, qu’une étincelle de patriotisme règne déjà en lui.

A cet épisode immobile, où les expressions morales semoient seules être enjeu, en succède un autre un peu pins animé ; rien n’est plus naturel que la pose de ce jeune pêcheur paisiblement assis à l’écart, la satisfaction se peint dans tousses traits, il vient de tirer sa ligne, et joyeux de sa conquête, semble encore craindre de voir échapper le petit poisson que l’hameçon a saisi.

Les bateliers qui le précèdent agissent machinalement, pour prêter une oreille attentive au marchand qui, la main appuyée sur des ballots, semble les entretenir, du profit qu’il fera avec les Macédoniens. Ces bateliers ont déjà plus d’action et de mouvement, si l’un d’eux est assis, ses bras rament du moins et se meuvent sans cesse ; l’autre aux muscles plus accusés, pousse le batelet qui, en se déplaçant, laisse croire que tout fuit et change autour d’eux. Le vieux fleuve près duquel ils abordent, représentant l’Euphrate appuyé à la tour de Babel, la main pleine d’épis, pour indiquer la fécondité des terres qu’il arrose, offre par l’air majestueux de toute sa personne, un vif contraste avec le mouvement féroce du tigre qui l’approche, en tournant vers lui ses yeux avides de sang.

Aux poses assises succèdent des mouvements plus prononcés ; un berger dont tout le corps est en action, presse la marche lente des moutons, qu’il conduit aux étrangers, et qui chemin faisant s’arrêtent pour brouter quelques brins d’herbe ; tandis que le peuple se passionne, s’agite, se groupe, se porte sur les remparts de la ville, au devant du triomphateur, où l’on voit pêle- mêle femmes, enfants, vieillards, soldats, philosophes s’entretenir du héros.

La crainte, plutôt que l’enthousiasme des gardes, a placé sur les remparts des trépieds où brûlent des parfums.

Par une transition parfaitement entendue, le sujet s’anime encore davantage dans le groupe suivant et prend plus de noblesse et d’élévation; ces savants, ces devins, ces astronomes, ces mages syriens et chaldéens qui consultent le globe, et qui par leur grand âge, ont dû voir s’accomplir bien des révolutions, disent, par les traits expressifs qui les animent, que leurs prédictions ont eu lieu ; on voit qu’ils parlent avec plaisir du jeune conquérant, qu’ils l’admirent en songeant à ses triomphes, en reconnaissant sur ce globe qu’il a déjà sillonné en tous sens, les diverses parties qu’il a soumises à son empire, les trésors de science dont il a doté la civilisation.

Parmi les coursiers fougueux, les animaux féroces et les riches présents de toute sorte qu’on lui destine, le lion, bien qu’enchaîné, semble se ressentir du triomphe et marche avec fierté : qu’il est majestueux! comme sa queue se développe avec puissance autour de son corps; que le léopard placé près de lui est loin de l’égaler en noblesse!... mais nous approchons du héros; la puissance autour de laquelle tout tend et gravite, semble déjà se faire sentir, et communiquer l’agitation à tout ce qui l’environne; le fracas, le tumulte commencent à se faire entendre, et se mêlent au bruit des instruments de musique ; les chevaux pleins d’ardeur se mutinent, s’emportent, les conducteurs ont peine à contenir celui qui se cabre et qu’on entend hennir!

Avec quel entrain les joueurs de thybes et de luths embouchent leurs instruments; que de trésors, de vases, de trépieds, de corbeilles de fleurs, de guirlandes amoncelés sur le passage du conquérant; Bagophane, gouverneur de la citadelle et trésorier de Darius est en marche pour faire sa soumission ; il donne ses ordres pour qu’on dresse sur la voie triomphale des autels en argent ; il y fait brûler la myrrhe et l’encens comme sur les autels des dieux ; les femmes mêmes, comptant sur l’effet de leurs charmes, viennent au devant du jeune vainqueur. Que d’aliégresse, que de grâce, d’abandon dans ces jeunes filles persannes, qu’Alexandre appelait le mal des yeux; elles vident leurs corbeilles pleines de fleurs et les répandent en dansant sur son chemin.

Cet épisode rempli d’attraits et d’une douce volupté, est fort heureusement placé pour récréer l’imagination, et détourner l’esprit des pensées tristes qui vont l’assaillir en apercevant l’avilissement de Mazée, gouverneur de Babylone, qui, suivi de ses écuyers, se présente humblement au-devant du vainqueur, et pousse vers lui l’élite de la génération nouvelle, ses enfants qui paraissent tout à la fois admirer et recevoir le héros, en criant avec leur père : la paix! la paix!

Le génie de l’artiste a personnifié ces mots; il les rend visibles, palpables, les transforme en divinité ; il place au-devant de Mazée la Paix aux ailes déployées, comme si elle eut hâte d’arriver, l’olivier à la main pour haranguer le héros; on croit voir les lèvres de cette bienfaisante divinité s’agiter, on croit les entendre doucement murmurer les inutiles paroles qu’elle lui adresse; on la voit se troubler, on sent l’olivier s’échapper de ses doigts.

Alexandre a l’air distrait, impatient; que d’ambition et d’activité dans sa pose impérieuse; que de nouvelles victoires il médite; la Thrace, l’Illyrie, Thèbes, toutes les républiques de la Grèce ne lui suffisent pas; il n’a pas encore soumis jusqu’aux confins les plus reculés de la terre; son corps ne pose pas en conquérant satisfait sur le char triomphal; il ne croit pas avoir assez fait pour vivre dans l’avenir ; des villes fondées, le massacre de plus d’un million d’hommes, le vaste empire de Darius ne sont pas assez pour assouvir sa soif de conquêtes; il lui faut toutes les nations orientales; on voit qu’il se laisse entraîner avec une secrète joie vers d’ambitieux projets; toute sa personne semble se porter en avant comme par un mouvement naturel, spontané; ce n’est qu’en songeant à de nouveaux triomphes qu’il reçoit l’olivier de la paix, la Victoire, les ailes étendues, guide son favori ; avec quelle rapidité elle fend l’espace et l’entraîne ; elle se penche entièrement en dehors du char qu’elle dirige elle-même, laissant flotter les rênes sur les chevaux hennissant qui se cabrent, impatients de parcourir le monde au galop.

A la suite du triomphateur viennent deux serviteurs, porteurs de ses armes ; l’un d’eux, coiffé du’bonnet phrygien et vêtu à la dardannienne, l’accompagne, les yeux fixés sur lui, pleins d’ivresse et d’admiration ; l´autre, couvert de la nebride, se retourne et regarde les écuyers aux formes athlétiques qui conduisent le fougueux Bucéphale et qui font de puissants efforts pour le maîtriser : on sent bien, en le voyant, qu’il n’était donné qu’à Alexandre de le dompter!

Voici trois de ses généraux (peut-être Antipâter, Perdiccas et Antigone) ; on reconnaît facilement leur rang à leurs mouvements pleins de dignité, de grandeur, à la richesse de leurs costumes, à la manière dont ils dirigent leurs brillants coursiers, à la satisfaction peinte sur leurs figures, à l’air dont ils donnent leurs ordres.

La cavalerie et l’infanterie macédoniennes les suivent; les soldats par l’énergie de leurs mouvements, par leur attitude guerrière, paraissent bien dignes d’accompagner l’intrépide guerrier et de faire de grandes choses avec lui.

Mais quelle opposition inattendue ! quel spectacle déchirant succède à tant d’agitation, d’allégresse, de gloire! un roi captif, enchaîné, peut-être le prince de Gaza, ornement du triomphe, suit l’éléphant chargé de riches dépouilles que conduit un Thessalien; que d’instinct, de sagesse, dans cet éléphant, qui la tête baissée, la trompe près de terre, s’avance lentement comme accablé de douleur sous le poids des trophées… Tête baissée aussi suit le roi prisonnier, seul, les mains liées derrière le dos comme un criminel; isolé de tous les siens, le chagrin dans l’âme, les yeux fixés sur les boucliers,.les carquois, les flèches, les lances, dont l’éléphant est chargé. Un Achéen, un cavalier et un fantassin lui servent d’escorte.

Les deux personnages qui terminent l’action paraissent s’occuper de ce noble captif, le plaindre et s’entretenir des vicissitudes des empires; leur expression et leur attitude contrastent sensiblement avec l’orgueil des soldats qui ferment le triomphe et entourent les riches dépouilles, le butin qu’ils doivent à leur valeur.
Je regrette de n’avoir pu décrire toutes les beautés d’un aussi grand ouvrage, le style noble dont il est empreint; l’art infini avec lequel l’auteur en a ordonné les différentes parties, la richesse d’invention qu’on y remarque, les oppositions pleines d’intérêt répandues jusques dans les moindres détails de cette admirable composition.

Comme, même dans les plus belles œuvres, on peut toujours trouver quelque chose à reprendre, des critiques fort éclairés, reprochent à l’auteur de cet ouvrage de s’être trop inspiré des frises du Parthénon, et d’avoir oublié la souplesse et le mouvement plein d’action des cavaliers Athéniens qu’on y remarque. Peut-être bien pourrait-on faire observer aussi, que la richesse de costume des Babyloniens n’est pas assez prononcée chez les principaux d’en- tr’eux, et que l’on ne trouve pas chez ces efféminés asiatiques, cette grande finesse de détails, cette-recherche inouie de luxe, dans la coiffure et les vêtements, dont parlent les historiens et que viennent de nous révéler les antiquités de Ninive.

Dans les bas-reliefs du jour et de la nuit qui décorent également une des salles du Palais Quirinal, l’artiste a représenté le jour sous les traits d’une femme élégante, gracieuse, (le l’aurore peut-être, répandant, en volant, des fleurs sur le chemin de la vie; un petit enfant allé, qui ressemble beaucoup â l’amour, lui est étroitement uni, s’appuye sur elle, et la suit dans son cours. Il tient un flambeau qu’il élève très-haut, comme pour dissiper ce qui reste de l’obscurité de la nuit.

Cette figure vole bien et répand ses fleurs avec grâce et libéralité ; l’amour parait un peu lourd, moins léger au vol, et semble la surcharger.

La nuit est aussi représentée sous la figure d’une femme aux ailes déployées. La tête inclinée, comme assoupie, elle est couronnée de pavots; elle porte deux enfants endormis sur son sein, et semble voler lentement de crainte de troubler leur repos; le mouvement général de sa personne, les draperies qui l’enveloppent, tout en elle est majestueux et calme. Son oiseau la suit les ailes étendues, et vient heureusement remplir un grand vide, qui eût produit un désagréable effet, entre les ailes et les pieds de cette divinité.

Ce bas-relief, si paisible de composition, par la manière poétique dont il est rendu, par les idées de silence qu’il réveille est une chose charmante à voir.

Telle est la manière dont le grand artiste caractérisait Dieu, ses disciples, les héros et les divinités. Disons rapidement, comment il faisait revivre les Souverains Pontifes et les grands représentants de l’humanité.

Le tombeau de Pie VII placé dans l’église de saint Pierre à Rome est fort remarquable comme sculpture; et cependant vous n’êtes pas vivement impressionné en le voyant : vous regardez les figures qui le décorent et l’architecture tout à la fois; votre œil se partage entre les deux et ne sait où s’arrêter; ni l’une ni l’autre ne s’emparent de votre esprit, de votre œil : vous êtes recueilli et distrait en même temps; recueilli par ces belles statues pleines de calme et de majesté; distrait par la multitude de moulures formant lignes droites placées dans les chambranles et la corniche de la porte; dans les piédestaux, dans le grand siège et les détails saillants et prétentieux qui environnent toutes les figures. Le statuaire n’a pas nettement fait dominer son idée; elle semble absorbée par la multitude de lignes qui l’écrasent; on dirait qu’une pensée étrangère à la sienne a malheureusement conçu l’architecture, et glacé impitoyablement, au moyen de l’équerre et du compas, ses élans d’enthousiasme, ses poétiques inspirations.

Ce monument de forme carrée, percé d’une porte dans le milieu, est orné de statues de chaque côté. Le Souverain Pontife placé au-dessus, donne la bénédiction aux fidèles.

Lorsque l’œil parvient enfin à se fixer sur les figures il les trouve pleines de calme et d’une tristesse empreinte de majesté.

La belle tête du Pape respire la bonté, la sagesse, la sainteté; son mouvement est rempli de dignité. A la manière dont il bénit le peuple on voit que quelque chose de plus qu’humain l’anime; on sent bien en lui le représentant de Dieu, le successeur de saint Pierre.

La force et la sagesse sont placées au-dessous de lui. Malgré son air humble, la force indique bien sa puissance: les mains sur la poitrine où réside toute énergie; les yeux fixés vers le ciel d’où vient toute véritable force, elle ne parait nullement songer à la sienne dont elle foule aux pieds l’emblème matériel, la massue. Elle est simplement drapée, une peau de lion la couvre; sa pose est ferme et noble tout à la fois,

La sagesse est calme, une branche d’olivier la couronne ; elle lit les Saints Évangiles et paraît s’abreuver avec délices h cette source divine. La cuirasse qui la défend semble indiquer que les erreurs et la méchanceté des hommes ne peuvent l’atteindre.

Les petis anges au-dessus de la porte, soutenant les armes de Pie VII, sont pleins de grâce et de charmes; leurs ailes, extrêmement légères, les draperies qui les recouvrent, souples comme du linge, offrent une diversion heureuse avec la noblesse et la sévérité de costume des autres statues.

Toutes les figures de ce monument sont fort belles, mais, je le répète, la multiplicité ambitieuse des lignes architecturales, heurte l’œil et l’empêche d’admirer leur ensemble et la suavité de leurs contours. Canova, il faut en convenir, a été plus heureux dans la disposition de ses monuments funéraires ; ses tombeaux deforme pyramidale, aux faces lisses, empreints de quelque chose de religieux, d’élevé semblent conçus pour laisser briller, au plus haut degré, la sculpture.

A Pise le Campo-Santo contient aussi un ouvrage de notre maître. Le chirurgien Vacca étant mort, ses compatriotes ouvrirent une soucription pour lui ériger un monument et s’adressèrent au sculpteur Danois. Torwaldsen choisit pour sujet du bas-relief, Tobie recouvrant la vue. Le travail en est souple, plein de finesse, de sentiment et de goût. On est séduit, charmé en le voyant ; tout y respire, comme par une ingénieuse allusion, le calme, le repos éternel. La tête du conducteur de Tobie est tout à fait céleste, angélique ; les mains et les pieds du messager divin sont fins, délicats et ne paraissant pas être ceux d’un mortel. Tobie espère plein de confiance; son fils procède avec la plus grande attention et semble à peine eflleurer les paupières du vieillard; la mère attend avec anxiété le résultat.

Ce bas-relief est plein d’inspiration : on dirait une œuvre antique, idéale, si à la morbidesse des personnages on ne les croyait pas animés. Le marbre, qui est beau comme l’albâtre, prête beaucoup sans doute à cette grande souplesse.

Il était réservé à l’âme élevée de cet artiste, de faire passer à la postérité l’image d’un des plus grands hommes de l’Angleterre; son ciseau devait immortaliser de nouveau Byron, en empruntant au caractère élevé du lord les principaux traits dont il a formé son image.

La pose du noble lord a quelque chose d’anglais, de simple et de digne tout à la fois, les détails qui l’environnent joints à sa belle tête si expressive, lui donnent un air plein de majesté, de grandeur.

Que d’inspiration dans la tête du poëte illustre, de l’homme de cœur! il tient son Childe-Harold, il va écrire; à ses pieds, parmi des débris de monuments grecs, se trouvent une tête de mort et l’oiseau de Minerve, comme pour indiquer la dévastation de la ville de la déesse. Assis sur les fragments mutilés des temples d’Athènes, qui semblent produire sur lui l’effet du trépied sur la sybille ; l’œil fixé sur les ruines majestueuses qui l’entourent, le génie brille dans ses yeux ; le dédain, le courroux sont concentrés en son cœur; la colère fermente en son âme; prêt à exhaler son indignation, il va jeter sur son album des lignes passionnées, ardentes. Que d’agitation dans cette immobilité; que d’éléments impétueux en cette âme si calme en apparence. Oppresseurs de la Grèce, craignez le moment où son cœur lancera ses traits de feu, sa lave brûlante; redoutez-le, tyrans ennemis du beau et de la civilisation, qui saccagez la patrie d’Homère et abattez la croix du Christ; redoutez le, car vous serez flétris à jamais, stygmatisés par lui.

Non loin du poëte fougueux, ce savant calme et réfléchi, c’est Copernic. Comme elle pense, sa tête puissante ; avec quel air modeste il voit dans l’infini le système sublime qu’il va dévoiler aux peuples et dont il semble reporter la découverte à celui de qui vient toute vérité. Sa main trace sur la sphère le mécanisme des cieux, mesure avec le compas la distance des corps célestes, s’assure de l’exactitude de ce que l’inspiration lui a révélé. On voit qu’il est sûr d’avance de la justesse du résultat; on sent en sa tête, où réside la conviction, qu’il a surpris le secret de Dieu.

Beaucoup d’autres œuvres de l’habile statuaire, toutes du plus grand mérite, ornent les principales villes de l’Europe. La statue équestre du prince Maximilien de Bavière, un des plus beaux ouvrages de Torwaldsen, décore une des places de Munich. La statue, aussi équestre du prince Poniatowski, surmonte une fontaine de Varsovie. Le cheval recule à l’aspect de ses eaux, qui rappellent celles de l’Esller ; le prince, voulant mourir, lui enfonce l’éperon dans les flancs, comme pour le forcer à les traverser.

Une des places de Stuttgard est embellie par la statue du poëte Schiller; Mayence possède le monument de Guttenberg; Lucerne a son Lion colossal érigé à la mémoire des Suisses morts aux Tuileries le 10 août 1792. Ce lion énorme, qui a 9 mètres de longueur sur 6 mètres de haut (27 pieds environ sur 18 pieds), expire percé d’une flèche, couvrant de son corps les armes de France confiées à sa garde.

Une reproduction des bas-reliefs du Jour et de la Nuit fut faite pour lord Lucan, qui possède aussi une Vénus de l’auteur. Le groupe des trois Grâces est la propriété du duc Augoustenberg ; Hebé décore la galerie de lord Aslburton ; Ganimède celle de lord Egerthon. Le duc de Bedfort possède le bas-relief de Psyché, celui qui représente l’enlèvement de Briséis et celui de Priam aux pieds d’Achille. A M. Hop non-seulement appartient, ainsi qu’il a cte dit, le Jason qui fut la première statue de l’auteur, mais encore Psyché et le Génie de l’art. Adonis, que Canova estimait un chef-d’œuvre, fut destiné au prince Maximilien de Bavière; les Muses dansant autour des Grâces à madame la baronne de Schubert.

Torwaldsen, dont l’activité était infatigable, a composé une multitude d’autres statues, bas-reliefs et monuments disséminés dans toutes les capitales. Il serait impossible d’énumérer ici toutes ses œuvres, dont le nombre s’élève à près de cent cinquante.

Les productions de ce maître célèbre sont généralement calmes, nobles, et d une grande pureté de style. On sent en les voyant qu’il s’est beaucoup inspiré des anciens, trop peut-être; les chefs-d’œuvre des Grecs, surtout, furent ses modèles; aussi, rarement ses compositions ont-elles cette chaleur, cette énergie, cette agitation que l’on retrouve dans les œuvres d’autres artistes qui se sont laissés aller entièrement à leurs inspirations. Quelle différence entre Michel-Ange et lui! Canova même met plus d’élan, de feu, d’imagination dans ses ouvrages; on sent plus la vie, le mouvement; le marbre s’anime davantage sous son ciseau. La réflexion, l’étude, l’arrangement se laissent apercevoir dans les œuvres du statuaire danois; l’inspiration, la facilité, un laisser-aller plein de charme et de naturel se trouvent dans celles de l’artiste italien : chacun d’eux reflète son caractère, son ciel. L’un retient par l’étude attentive de ses œuvres; l’autre attire, captive dès qu’on les aperçoit. L’un plaît aux âmes vives, passionnées, l’autre aux esprits graves, paisibles.

Le banquier Hop, en commandant la statue de Jason au moment où le jeune sculpteur allait s’embarquer pour Copenhague, a doté l’Europe de bien des chefs-d’œuvre, reflets brillants de l’antique, réminiscences heureuses qui rentrent dans le style de ce qui avait été fait jusqu’alors. Ce riche banquier, auquel les amis du beau doivent tant, eût rendu peut-être un plus grand service à l’art, s’il eût agi autrement. Torwaldsen, de retour dans son pays, eût donné à son talent une toute autre direction; ses œuvres n’eussent eu d’autre cachet que le sien.

Et à quoi bon s’inspirer toujours des Grecs, des Romains, des peuples qui nous ont précédés pour chercher à copier leurs œuvres, à reproduire continuellement leurs héros et leurs dieux? Le musée des ouvrages de ces peuples est assez complet dans tous les genres. Pourquoi chercher à retracer l’impossible, ce qu’ils sentaient, ce qu’ils ont mieux exprimé que nous ne pourrions le faire? pourquoi vouloir être copiste? pourquoi ne pas reproduire les impressions pleines de vérité de son pays, de son siècle, plutôt que les impressions mensongères d’un autre siècle, d’un autre pays?

Les divers genres, noble, gracieux, mâle, élégant, et tous les autres types qui sont dans la nature, existent dans le nord tout aussi bien qu’en Italie; seulement ces divers genres ont dans les pays froids des nuances, des caractères particuliers qui les font différer du noble, du gracieux, du mâle quelemidi nous révèle. Aussi, lorsque ces divers genres du nord ou de toutes autres contrées sont reflétés, formulés dans les œuvres des hommes supérieurs de ces pays, ces genres viennent non-seulement augmenter les richesses de ces peuples, mais encore les richesses de l’art en général, et tendent à compléter le musée artistique de l’humanité.

Ne croyons donc pas que les régions froides soient dépourvues d’art et de poésie : tous les pays en ont, tout ce qui est l’œuvre de Dieu en contient.

Si le jeune sculpteur, après avoir appris en Italie à rendre parfaitement sa pensée, fût retourné à Copenhague, il n’eût plus eu de modèles sous les yeux, mais il eût eu son génie et la nature, il eût été créateur ! Encouragé par les princes de son pays, impressionné par ses montagnes couvertes de neiges, roulant des torrents d’eau et de feu, par son ciel, qu’obscurcissent les vapeurs des cascades; inspiré des livres théogoniques, des Eddas et des récits populaires de l’Islande, il eût représenté les images de ses pensées; son talent eût fait jaillir de son esprit et du monde extérieur, pour les fixer sur le marbre, des divinités nouvelles, enrichi le domaine de l’art de productions dont nous n’avons aucune idée; son génie, excité par l’histoire de son pays, au lieu d’admirer près de terre les chefs-d’œuvre anciens, eût pris un vol plus hardi sur les ailes de la poésie scandinave.

N’est-il pas regrettable que celui qui eût pu si bien interpréter les mythes de la Calédonie n’ait pas fait pour les arts ce qu’Homère, Virgile, Dante, Tasse, Ossian, Milton, Shakespeare, Byron, Walter-Scott, Chateaubriand, Victor Hugo, Lamartine, Schiller, Goethe, Hoffmann, ont fait pour les lettres?

L’Italie est le pays où les artistes de toutes les nations vont déposer leur talent, leurs pensées dans le même creuset ; heureux ceux qui passent par cette puissante épreuve tout en conservant leurs caractères distincts; heureux ceux qui peuvent se plonger dans cette atmosphère de gloire sans en être éblouis, sans rester complètement empreints de l’esprit de tant de chefs- d’œuvre.

Notre belle France, qui semble être appelée à exprimer la première les nobles sentiments de l’humanité, les grands mouvements civilisateurs qui ont du retentissement dans l’univers, doit se glorifier de ce que plusieurs de ses enfants aient voulu, comme les Phidias, les Agesandre , les Michel-Ange, les Puget, rester eux-mêmes, ne rien devoir qu’à leurs seules inspirations. Louons, il faut bien le dire malgré sa modestie , l’auteur du Spartacus et de Jeanne d’Arc, notre célèbre collègue M. Foyatier, d’avoir traité des sujets qui relèvent notre enthousiasme, notre patriotisme. Louons tous ceux qui marchent dans cette voie; louons David d’Angers d’avoir rompu avec cette imitation funeste qui coupe les ailes au génie, l’empêche de prendre un vol élevé, d’obéir aux élans d eson cœur et de son esprit.

Le statuaire français fait mieux, ce nous semble, que ceux qui restent servilement copistes après avoir religieusement étudié les anciens ; lui aussi les a beaucoup étudiés, mais il comprend toute la grandeur, toute la portée de son art; il veut émouvoir, impressionner; Il veut que la sculpture donne des
leçons de verlu et de patriotisme, non-seulement dans les palais, les temples, les salons, mais sous le dôme du ciel, sous les yeux de la nation tout entière, dans les places publiques, dans nos champs de repos, sur les frontons de nos édifices. Là, la pierre, le marbre, le bronze, sur lesquels il écrit ses immortels enseignements, transmettront à la postérité la plus reculée l’image de nos Illustrations nationales.

Son talent a déjà couvert par une page glorieuse le frontispice du temple de nos grands hommes; trop resseré néanmoins’dans ces vastes limites, ce sont des Panthéons en plein air qu’il faut à son génie puissant pour glorifier nos éloquents orateurs, nos généraux célèbres; des champs Elyséens qu’il crée ici-bas, où les monuments funéraires sont transformés par lui en apothéoses (1).

Louons-le de s’abandonner à sa passion dominante, de ne vouloir puiser ses Inspirations que dans les immortelles pages de la nation ; de ne demander qu’à son cœur l’enthousiasme, qu’à son âme patriotique le talent de dignement exprimer les fastes de notre pays.

En émettant mon opinion sur le caractère des ouvrages de notre illustre concitoyen, en condamnant l’imitation servile, je ne prétends point dire pour cela, qu’on doive mépriser les anciens. Telle n’est pas ma pensée, leurs œuvres, comme un éclair divin, doivent illuminer notre âme mais il ne faut composer qu’àprès qu’il a lui ; bien jeune on doit, ce me semble, s’abreuver à la source du génie céleste des peuples qui nous ont précédés; connaître toutes leurs productions, les savoir par cœur, pour ainsi dire, puis lorsque l’on a acquis le moyen de facilement exprimer sa pensée, on doit secouer toutes les traditions, chasser tous les souvenirs, ne se laisser dominer que par son esprit, ne demander qu’à soi-même, à son pays des inspirations.

Les chefs-d’œuvre anciens, bien que resplendissants de gloire, ne doivent pas avoir assez d’attraction pour faire graviter continuellement autour d’eux : comme des phares étincelants ils ne semblent placés de distance en distance sur la voie de l’humanité, que pour indiquer aux peuples modernes la carrière qu’elle a déjà parcourue; que pour les éclairer dans la voie inconnue de l’avenir; les générations qui se succèdent doivent à leur tour laisser des œuvres empreintes de leur caractère original et non des copies, afin de continuer par de nouvelles lumières à éclairer, de siècle en siècle, la marche générale et progressive de l’humanité.

Les ouvrages de Torwaldsen quoique empreints de l’imitation antique, sont admirables parce qu’ils sont toujours traités dans un style qui convient aux sujets qu’ils représentent ; ils brilleront d’un vif éclat parmi les productions des grands statuaires du XIXe siècle. L’immortalité leur est assurée. Ce qui ne périra pas non plus dans le souvenir de tous ceux qui l’ont connu, ce son les qualités de son cœur; sa bonté, sa modestie, son désintéressement, sa générosité ; c’était un bonheur pour lui de protéger les jeunes artistes qui végétaient, car il n’avait pas oublié tout ce qu’il devait au banquier Hop, alors que la fortune et la gloire ne s’étaient pas encore révélées à lui, modeste artiste, ignoré de tous.

Il leur commandait des travaux et les guidait de ses judicieux conseils; aussi sa galerie était-elle très-remarquable; parmi les œuvres de celte jeunesse pleine d’avenir, dont il était l’appui, on voyait également des ouvrages dus à l’amitié de ses anciens condisciples, comme lui devenus célèbres ; Overbeck, Carstens, Sanguinetti, Cornélius, Welter, W. Schadow, Meyer Koch, Krat et beaucoup d’autres peintres et sculpteurs remplis de talent s’étaient plu à embellir de leurs productions la galerie de leur ami. Ces témoignages d’une vive affection sont le plus bel éloge qu’on puisse faire de son caractère; un trait qui fera juger de la bonté de son cœur mérite d’être cité. Le dernier roi de Prusse lui ayant fait demander une statue, Torwaldsen sachant qu’un artiste prussien fort distingué se trouvait extrêmement gêné et malheureux, répondit au roi…. “Sire, il y a en ce moment à Rome un de vos fidèles sujets qui serait plus capable que moi de s’acquitter à votre satisfaction, de la tâche dont vous daignez m’honorer, permettez-moi de le recommander à votre royale protection.” Cet émule était Rodolphe Schadow, qui produisit, inspiré par la reconnaissance, un chef-d’œuvre charmant, sa fileuse.

Je n’ai pas eu le bonheur de voir Torwaldsen, il était à Copenhague lorsque je visitai son atelier de Rome, ses disciples me montrèrent affectueusement ses œuvres; un vide immense semblait exister autour d’eux. La pensée vivifiante du maître ne les animait plus ; leur imagination, privée des étincelles qui jaillissaient de son âme, semblait éteinte et sans éclat ; on eût dit des satellites, privés du foyer de lumière qui les éclairait, poursuivant obscurément leur carrière.

Je leur demandai si leur professeur, leur ami, reviendrait bientôt: à la prima vera, me répondirent-ils? Hélas le printemps est venu, mais sa tiède haleine n’a pu réchauffer les restes inanimés du grand maître.

La contemplation de ses œuvres, me donna une idée de sa personne. J’ai vu depuis, à Paris, à la Bibliothèque royale, deux beaux portraits de lui. Le premier a été gravé par Gazzali, à Rome en 1831.

L’artiste a l’air plus que sévère; tellement son œil perçant semble pénétrer dans les mystères de l’art pour les modeler à nos yeux. Sa tête a l’air paisible, mais le cœur qui l’inspire semble brûlant. Elle paraît dominée par de vives passions pour l’art, reproduites avec calme sur son visage. Son âme tendre qu’anime le feu du génie, semble, empreinte sur ces traits calmes et froids, une lave coulant à travers la neige.

Il paraît absorbé par des pensées qui tiennent dans un état de surexcitation toutes les facultés de son âme. Toutes les parties de son visage ont un caractère particulier qui concourt à l’expression générale: ses traits sont fins, spirituels; son front proéminent paraît le réservoir du génie; son œil petit mais ardent est plein de perspicacité; sa bouche fermée, ses lèvres pincées semblent retenir son souffle; ses narines sont entr’ouvertes comme pour aspirer les émanations du beau, sa belle chevelure retombant jusque sur ses épaules donne à sa tête beaucoup de majesté. On le dirait créant une immense composition et dans un de ces moments d’inspiration où l’artiste ne voit rien de ce qui l’entoure, n’aperçoit que les séduisants tableaux que lui présente l’imagination.

Le second portrait dessiné par Kitzler représentant Torwaldsen à l’âge de 66 ans est au précédent ce que sont les montagnes lointaines, vaporeuses à celles qui s’offrent près de nous avec des effets vigoureux, resplendissantes de lumières (1).

Les années semblent avoir répandu une douce majesté sur les traits de l’habile artiste, et amorti la vivacité du feu sacré qui les animait. A la passion, ù l’enthousiasme des belles choses, a succédé un sentiment moins fougueux, plus idéal, plus céleste ; sa belle tête calme, digne a l’air plus doux, plus affectueux. Elle est pleine de finesse et de naïveté mêlée à beaucoup de pénétration; son œil modestement interrogateur, bien expressif néanmoins, semble ravir au monde les secrets de l’art, les harmonies mystérieuses pour les rendre visibles à tous; sa bouche expressive, légèrement fermée semble s’ouvrir pour laisser passer le souffle divin qui doit animer ses créations.

Lorsque après un long séjour dans la métropole des arts, Torwaldsen quitta Rome pour revoir Copenhague, son arrivée fut pour les habitants une fête nationale, et pour lui un jour bien glorieux, car il entrait en triomphateur dans cette capitale, amenant avec lui non pas les chefs-d’œuvre qu’il avait ravis aux peuples vaincus, mais les ouvrages immortels qu’avait enfantés son génie.

Le roi, les princes vinrent au devant de lui, toute la population se porta sur son passage et salua son arrivée des plus vives acclamations; le canon de sa voix solennelle, imposante, ébranla le sol de la patrie, comme si elle aussi eut dûs’émouvoir, tressaillir, à l’arrivée du grand artiste. Les poètes composèrent des vers en son honneur; le roi Christian VIII qui s’était lié avec lui d’une étroite amitié à Rome, le nomma conseiller de conférence et directeur de l’Académie des beaux-arts de Copenhague. Ces fêtes, ces honneurs n’étaient que le prélude des cérémonies funèbres.

La mort, pour qui rien n’est sacré, pas même la gloire, vint l’enlever aux amis des arts le 25 mars 1844, au moment où il terminait un buste de Luther et une statue d’Hercule pour le palais de Christianburg.

Torwaldsen était allé au théâtre selon son habitude ; avant que le spectacle ne fut commencé, il tomba à la renverse sur son fauteuil, frappé d’une apoplexie foudroyante. On s’empressa de le transporter chez lui, à peine arrivé il expira sans faire un mouvement, sans prononcer une parole.

Le roi et les princes, jugeant que leur ville et les arts perdaient un des plus beaux fleurons de leur couronne, se joignirent à toute la population de Copenhague, pour honorer les funérailles d’un de ses plus grands hommes ; ses obsèques eurent lieu le samedi, 30 mars, dans l’église de Hom où sa dépouille mortelle fut déposée.

Le talent de Torwaldsen lui avait non seulement acquis une grande gloire, mais encore des richesses considérables, environ 5 millions de francs. Ce que les arts lui avaient si libéralement départi, il le leur restitua en entier. Il légua sa fortune au Musée de Copenhague dont il était fondateur.

Ce célèbre artiste était membre correspondant de presque toutes les Académies du monde savant, il fut membre associé étranger de l’Institut de France ; président honoraire de l’Académie de Saint-Luc à Rome depuis 1826. Le roi de Naples, Murât, le décora de l’ordre des Deux-Siciles ; Frédéric IV, roi de Danemark, lui octroya des lettres de noblesse et le créa grand-croix de l’ordre de Danebrog; en 1831 le roi des Français l’avait nommé officier de la Légion-d’Honneur.

Telle fut la féconde carrière de ce grand artiste ; sorti de l’obscurité, il brilla un instant sur la scène du monde, laissa des œuvres qui feront toujours l’admiration de la postérité, et disparut à jamais pour rentrer dans le sein de la divinité dont il émanait

A, MARCELLIN,
Membre de la quatrième classe.

Generel kommentar

Dette er en trykt omtale af Thorvaldsens liv og udvalgte hovedværker, der blev udgivet i det franske tidsskrift Journal De L’Institut Historique i december 1847.

Arkivplacering
M17,54 (Thorvaldsens Museums Småtryk-Samling 1847)
Emneord
Kritik af Thorvaldsens værker, positiv · Thorvaldsens levnedsløb, samtidig beskrivelse
Personer
Nicolai Abildgaard · Frederik 6. · Thomas Hope · Bertel Thorvaldsen · Gotskalk Thorvaldsen · Andrea Vaccà Berlinghieri
Værker
Sidst opdateret 25.08.2015 Print