Copenhague le 14/26 Mars. 1844
Monsieur le Comte.
Le Danemarck vient de faire une perte que l’Europe entière regrettra sans doute en commun avec le Souverain et le peuple de ce pays, – l’illustre Thorwaldsen est mort avant hier au soir d’un attaque d’apoplexie fondroyante, peu de tems après qu’il eut pris sa place dans les fauteuils du théatre national, où il aimait à se reposer de ses travaux. – Comme sa demeure dans l’Académie des beaux arts était très voisine du théatre, il fut possible de l’y porter à l’instant, pour lui prodiguer tous les secours de l’art, mais la vie était éteinte. – Durant la matinée de ce même jour on l’avait vu encore travaillant dans son attelier avec un esprit plus serein que de coutume, et cette sérénité lui était restée aussi pendant le repas qu’il fit avec quelques amis intimes avant de se rendre au théatre. – Le défunt a été fort incommodé cet hiver d’une plaie à la jambe, mal qui passait et revenait depuis quelques années mais qu’un habile médecin d’ici était parvenu dernièrement à guérir à l’entière satisfaction du défunt, en entretenant des cautères à l’une et à l’autre de ses jambes. – En attendant sa constitution un peu affaiblie depuis l’année passée avait eu, il y a quelques semaines, à soutenir de grands chocs par les morts successives de deux anciens amis, auxquels il était très attaché. –
Le Roi qui affectionnait le vénérable Thorwaldsen, et Se plaisait à le distinguer en toute occasion par des marques d’une estime toute particulière, partage vivement ce deuil national. Le défunt était danssa 74me année, et l’on peut dire avec vérité qu’il n’a cessé de tenir son ciseau qu’à l’heure même où la Providence l’a fait tomber de sa main. Ses cendres sont destinées à reposer dans l’enceinte du Musée que la nation Danoise a érigé pour contenir les ouvrages de son Thorwaldsen, de même que la précieuse collection de tableaux et d’autres objets d’art que le défunt a légué à sa patrie.
J’ai cru, Monsieur le Comte, ne pas devoir laisser aux feuilles publiques à donner au Gouvernement Impérial les premiers avis du décès d’un homme dont toute l’Europe s’est depuis de longues années accordée à honorer l’admirable talent. Votre Excellence jugera par la simple annonce ci jointe, qui a paru hier dans une des feuilles de Copenhague, du sentiment de vénération que les Danois portaient à leur illustre compatriote.
J’ai l’honneur d’être avec la plus haute considération,
Monsieur le Comte,
de Votre Excellence.
le très humble et très
obéissant Serviteur
le Br[x] Nicolay
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Traduction d’un article de la gazette de Copenhague de Berling, du 25. Mars 1844.
Albert Thorwaldsen, le Roi des artistes, est mort. Cette nouvelle parcourra le pays comme celle d’un deuil universel. Mais il vit dans ses oeuvres – sa gloire et sa grandeur comme celles du Danemarck – et il y vivra toujours! C’est dans ce sanctuaire érigé pour ses ouvrages, où ses cendres doivent aussi reposer, qu’il vivra parmi nous!
Thorwaldsen naquit le 19. Novembre 1770, ayant d’après cela atteint l’âge de 73. ans et 4 mois. Il était plein de vie et d’activité, et occupé de ses ouvrages jusqu’á sa dernière heure. –