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M. THORWALDSEN.


Une grande gloire rayonne sur l’école de
Copenhague; elle a produit Thorwaldsen.
MARMIER. — Lettres sur le Nord.

Depuis Canova, nul sculpteur n’a joui de son vivant d’une aussi vaste renommée que Thorwaldsen. De Rome, où s’est formé son talent et où s’est écoulée la plus grande partie de son existence, l’artiste danois a répandu son nom et ses œuvres dans toute l’Europe, et lorsqu’après quarante ans de succès il est venu l’an dernier mourir dans sa patrie, dont il était l’orgueil, on a vu tout un peuple porter le deuil d’un sculpteur, et un roi accorder des funérailles royales au fils d’un pauvre marin islandais.

Il ne m’appartient pas de discuter la gloire de Thorwaldsen. Des appréciateurs plus compétents que moi en matière d’art ont pu penser que cette réputation était un peu surfaite; que, supérieur dans la sculpture en bas-relief, Thorwaldsen ne brillait pas toujours du même éclat dans la sculpture en ronde-bosse; que la correction et la puissance de son ciseau ne rachetaient pas suffisamment le caractère de dureté et de froideur dont ses créations étaient souvent empreintes; que chez lui l’habileté de l’homme, adroitement voilée sous des dehors de simplicité et de bonhomie, n’avait pas peu contribué à exploiter et à étendre la renommée de l’artiste, et qu’enfin l’admiration naïve et passionnée des Scandinaves pour un genre de supériorité fort rare chez eux ne pouvait entrer en ligne de compte dans l’appréciation raisonnée et impartiale du génie de Thorwaldsen. Quoi qu’il en soit de ces critiques, la gloire européenne de l’illustre sculpteur danois est un de ces faits accomplis contre lesquels je n’ai nulle envie de m’insurger. Quiconque se présente avec une réputation généralement reconnue, acceptée par les contemporains, et fondée sur des travaux dignes d’estime, figure de droit dans ce recueil.

Bertel Thorwaldsen est, comme je l’ai dit plus haut, le fils d’un pauvre marin islandais, exerçant en outre l’humble métier de tailleur en bois des figures grossières qui décorent la proue des navires marchands. Sa mère était fille d’un pasteur d’Islande: elle lui donna le jour en pleine mer, le 29 novembre 1770, durant un voyage qu’elle faisait de Reikiawik à Copenhague, où son mari était établi.

La première éducation du jeune Bertel fut trèsnégligée. Il n’alla, dit M. Marinier, d’après un biographe danois, M. Thiele, il n’alla que fort peu de temps à l’école et n’y apprit presque rien. On raconte même qu’à l’âge de dix-sept ans, se trouvant mêlé à une société de jeunes gens qui voulaient jouer la comédie, il fut obligé de renoncer au rôle qui lui avait été confié parce qu’il ne pouvait le lire. Cependant la profession de son père éveilla de bonne heure son intelligence pour l’art qui devait faire sa gloire: à l’âge de onze ans il demanda à fréquenter les cours gratuits de l’Académie royale des Beaux-Arts, et ne tarda pas à s’y distinguer par son application. Il passa successivement par l’école linéaire, par l’école de bosse et de dessin: en 1787 il concourut et gagna une médaille d’argent.

Il était à cette époque, dit M. Marinier, auquel j’emprunte les détails relatifs à la jeunesse de Thorwaldsen, il était à cette époque d’une nature excessivement calme, très-sérieux, parlant peu et travaillant avec ardeur. Lorsqu’il avait une fois pris ses crayons, ses camarades essayaient en vain de le distraire. Il restait la tête penchée sur son ouvrage et ne répondait à leurs questions que par des monosyllabes. Malgré les éloges qu’il avait plus d’une fois reçus, son ambition fut lente à s’éveiller. Son père voulait l’associer à ses travaux de ciseleur en bois, et il n’avait rien à objecter à la volonté de son père. Souvent il allait lui porter à dîner sur quelque navire en construction, et, tandis que le pauvre ouvrier se reposait de son labeur du matin, l’enfant prenait le ciseau et achevait de découper une fleur ou de modeler une figure. Cependant les succès qu’il avait obtenus à l’Académie avaient déjà fait quelque bruit, à en juger par une anecdote que rapporte M. Thiele. Bertel s’était présenté à l’église pour être confirmé ; le prêtre, le voyant assez mal habillé et fort peu instruit, ne fit pas d’abord grande attention à lui; mais, quand il eut entendu prononcer son nom, il lui demanda si c’était son frère qui avait remporté un prix à l’académie de dessin. “Non, monsieur, dit Bertel, c’est moi.” Dès ce moment, le prêtre le traita avec une sorte de distinction, et ne l’appela plus que monsieur Thorwaldsen.

En 1789 il gagna un second prix. Son père, le trouvant alors aussi instruit qu’il pouvait le désirer, voulait le faire sortir de l’école ; mais ses professeurs s’y opposèrent, et il consacra une partie de la journée à ses études; le reste du temps il l’employait à travailler pour sa famille. On voit encore à Copenhague plusieurs sculptures de lui qui datent de ce temps-là.

L’époque du grand concours approchait. Thorwaldsen n’avait d’abord pas envie de s’y présenter. Il était retenu tout à la fois par un sentiment d’orgueil et par un sentiment de modestie. Il ne se croyait pas en état de remporter le prix et il ne voulait cependant pas avoir la honte d’échouer; mais ses amis s’efforcèrent de vaincre ses répugnances, et, pendant plusieurs mois, les plus intimes ne l’abordaient jamais sans lui dire: “Thorwaldsen, songe au concours.”

Quand le jour solennel fut venu, Bertel traversa avec de grands battements de cœur le vestibule de l’Académie. Les élèves devaient d’abord se réunir dans une salle commune pour y recevoir le programme du concours, puis après se retirer chacun dans une chambre à part pour faire leur esquisse. C’était d’après ces esquisses que les professeurs jugeaient ceux qui devaient être admis à concourir, et c’était justement là ce qui effrayait Thorwaldsen. Quand il se vit seul dans sa cellule en face de son programme, sa frayeur redoubla; il ouvrit la porte et s’enfuit par un escalier dérobé. Au moment où il exécutait ainsi sa retraite, il fut rencontré par un professeur qui lui reprocha si éloquemment son peu de courage quo Thorwaldsen honteux retourna à ses crayons. Le sujet du concours était un bas-relief représentant Hèliodore chassé du temple. Le jeune artiste acheva en deux heures son esquisse et gagna sa seconde médaille.

En 1793 il y eut un nouveau concours. Cette fois, il s’y présenta avec plus de résolution et remporta le grand-prix. Le sujet était un bas-relief représentant Pierre qui guérit le paralytique. A ce grand prix était attaché le litre de pensionnaire de Rome et une rente de 1200 francs pendant trois ans. Mais les fonds n’étaient pas disponibles et Thorwaldsen les attendit trois années. Il passa ce temps à continuer ses études, à donner des leçons de dessin, et il fit quelques travaux pour le palais du roi.

Enfin, en 1796, il reçut son stipende de voyage, partit le 20 mai sur une frégate qui devait faire voile pour la Méditerranée.

Ce qui était triste alors, c’était de voir sa malheureuse mère qui pleurait et s’écriait qu’elle ne reverrait jamais son fils. En partant il lui avait fait remettre par un ami une petite boîte pleine de ducats; mais elle la garda en disant qu’elle n’y toucherait pas, car un jour son pauvre Bertel pourrait en avoir besoin. Elle gardait aussi avec une sorte de sentiment religieux un vieux gilet qu’il avait porté. Souvent on l’a vue presser ce gilet sur son cœur et le baigner de larmes en invoquant le nom de son fils bien-aimé. Elle est morte, la bonne mère, sans connaître toute la gloire de celui qu’elle avait tant pleuré.

La frégate sur laquelle était Thorwaldsen fit un long voyage: elle s’arrêta plusieurs mois dans la mer du Nord. Elle aborda à Malaga, à Alger, à Tripoli, à Malte. A la fin, Thorwaldsen n’eut pas le courage de continuer plus longtemps cette expédition maritime; il s’embarqua sur un bateau qui allait à Malte, et arriva à Rome le 8 mars 1797.

Deux années se passèrent durant lesquelles Thorwaldsen continua à se distinguer par une extrême défiance de lui-même; il travaillait avec zèle, mais il avait à peine modelé une figure qu’il lui abattait la tête et la jetait dans un coin pour que personne ne la vît. Un premier modèle du Jason après la conquête de la toison d’or, qui fit depuis tant de bruit, éprouva cette triste destinée et fui décapité comme les autres essais du jeune artiste.

Cependant, Thorwaldsen avait rencontré à Rome l’antiquaire Zoëga, le Winkelmann du Danemark, dont les encouragements et les conseils le stimulèrent puissamment et le portèrent à recommencer son Jason. Ce premier chef-d’œuvre de Thorwaldsen, exposé aux regards des amateurs, eut un grand succès à Rome; le héros argonaute était représenté de grandeur naturelle, dans une pose respirant la fierté et le calme du triomphe; le corps légèrement fléchi sur la jambe droite, la tête inclinée sur l’épaule gauche, à laquelle pend la toison d’or, tandis que son bras droit repose sur sa lance.

L’admiration fut universelle, mais l’admiration ne suffisait pas au jeune et pauvre sculpteur; le terme fixé pour son départ, terme déjà ajourné une fois sur sa demande, approchait; la pauvreté de Thorwaldsen ne lui permettait pas de rester à Rome à ses frais, et personne ne se présentait pour lui acheter une copie de sa statue. Bien que désespéré de quitter Rome, il en avait enfin pris son parti; il s’en allait le cœur gros, lorsqu’un accident heureux, quelque difficulté de passeport, fit retarder son départ d’un jour, et dans ce même jour amena à Rome le banquier hollandais Hope, qui, aussi généreux que riche et amateur éclairé des arts, voulut voir de suite ce Jason dont on parlait beaucoup, et vint visiter le jeune sculpteur dans son petit atelier. L’œuvre le charma, et sans plus attendre il demanda combien coûterait l’exécution de cette statue en marbre. “Cela pourrait bien aller à 600 scudi, murmura timidement Thorwaldsen. — Vous plaisantez, réplique le généreux banquier; une pareille statue en vaut au moins 800; je vous les offre, et mettez-vous à l’œuvre.”

C’est ainsi que Thorwaldsen vit s’ouvrir devant lui une carrière où, peut-être, sans cette circonstance heureuse, arrêté dès son premier pas, il eût végété obscurément, tandis que l’exécution de cette statue à Rome, au centre des arts, lui fit une réputation toujours croissante; les Anglais surtout le prirent en grand goût, les commandes se multiplièrent, et au bout de quelques années le sculpteur danois partageait la gloire de Canova.

La statue de Jason fut bientôt suivie d’un bas- relief représentant Achille assis à l’écart, comprimant la colère qui le dévore, tandis que Patrocle livre aux envoyés d’Agamemnon la triste et tremblante Briseïs, œuvre comparable aux plus beaux bas-reliefs de l’antiquité. Sa statue colossale de Mars, représenté debout, appuyé de la main gauche sur sa lance renversée et tenant de la main droite une branche d’olivier, fut considérée par plusieurs comme supérieure au Jason lui-même. Thorwaldsen la termina en 1808, en même temps que l’Adonis commandé par le prince Eugène, statue que Canova lui-même appelait un chef-d’œuvre.

Dans l’intervalle il avait modelé une foule de figures, dont plusieurs de grandeur naturelle, une Vénus, un Apollon, un Bacchus, un Amour, une Psyché, une Hébé, un Ganymède, un Mercure tuant Argus, qu’il a dû depuis exécuter plusieurs fois en marbre, et’qui sont aujourd’hui répandus dans tous les musées et tous les grands cabinets de l’Europe. En 1819, on se foulait à Rome, à la porte de son atelier, pour admirer un beau marbre de son Mercure tuant Argus, exécuté pour le prince Esterhazy; le dieu est représenté au moment où il tire son glaive pour trancher la tête de l’espion aux cent yeux, qu’il vient d’endormir.

Parmi les bas-reliefs qui datent aussi de cette époque, nous citerons: un Baptême du Christ, une Madone avec l’enfant Jésus et saint Jean, un Christ bénissant les enfants, un groupe d’anges et quatre médaillons exécutés pour le portail du château de Charlottembourg,à Copenhague; la Danse des Muses sur l’Hélicon appartient aussi à cette période de la vie de Thorwaldsen. En 1808, il fut reçu à l’Académie de Saint-Luc , à Rome, dont il devint depuis président, bien qu’il se fût à cette époque manifesté quelque opposition contre son talent et contre son école.

En 1811, Napoléon, qui par parenthèse n’a jamais vu Rome, et qui ne cessa de nourrir la pensée d’y venir faire une excursion, désira qu’on lui préparât dans ce but un palais; on choisit un palais d’été appartenant au pape et situé sur le Monte-Cavallo. Thorwaldsen fut chargé de l’orner de bas-reliefs , et Napoléon, toujours pressé, lui donna trois mois. L’habile sculpteur fut exact au terme indiqué, et livra à l’admiration des amateurs une belle et vaste composilion qui orne lesquatre panneaux du principal appartement, et qui représente l’entrée triomphale d’Alexandre dans Babylone. Ces bas-reliefs, proclamés dignes des plus beaux temps delà sculpture grecque, et généralement considérés comme le chef- d’œuvre de Thorwaldsen, ont été depuis reproduits deux fois par l’artiste: une première fois, par ordre du roi de Danemark, pour le château de Christianbourg, et une seconde fois pour M. le comte de Sommariva; l’ouvrage est disposé en forme de cercle et divisé en trois parties: la première représente le lieu de la scène; la seconde, une députation envoyée au conquéraut macédonien; et, enfin, la troisième, l’entrée du triomphateur. Avant que Napoléon put jouir de la vue de cette allégorie, inspirée par lui et exécutée pour lui, l’inconstante fortune le précipitait du trône et l’exilait à Sainte-Hélène.

C’est vers cette époque que Thorwaldsen conçut le monument symbolique élevé à la mémoire des soldats suisses tués le 10 août 1792, le fameux lion mourant, qu’on voit aujourd’hui sur une montagne près de Lucerne. En 1812, Thorwaldsen fut reçu membre de l’Académie impériale et royale de Vienne.

De 1812 à 1820, il sortit de ses mains savantes une foule de compositions nouvelles, entre lesquelles nous citerons quatre bas-reliefs pour la nouvelle cathédrale de Copenhague; les trois Grâces, un de ses plus charmants ouvrages; deux belles statues allégoriques ,le Jour et la Nuit; une ravissante figure, l’Espérance, exécutée pour M. de Humboldt; deux grandes caryatides, non moins belles , destinées à orner le tombeau d’un jeune Allemand mort à Florence, et plusieurs bas-reliefs; un Bacchus donnant à boire à l’Amour, une Minerve plaçant un papillon sur la création de Prométhée, un Amour montrant à Vénus sa petite main piquée par une abeille, un Hygée faisant boire le serpent d’Esculape, l’Amour cherchant à éveiller Psyché évanouie en la piquant d’une de ses flèches.

Chargé par le prince royal, aujourd’hui roi de Bavière, de restaurer les fameuses statues antiques déterrées à Egine, il s’acquitta de ce travail avec une habileté remarquable; en 1827, il avait restauré toute la collection qui figure aujourd’hui à Munich. Dans la même année, il exécuta pour une église de la même ville une histoire de Jésus- Christ en bas-relief.

En juillet 1819, anobli par son souverain, attiré par le désir de revoir, opulent et glorieux, une patrie qu’il avait quitté pauvre et obscur, et qui se montrait fière de sa renommée, le chevalier Thorwaldsen se décida à quitter Rome pour se rendre d’abord à Munich, afin d’y surveiller le placement de ses bas-reliefs; à Vienne, dans un but semblable, au sujet des différents travaux qu’il avait exécutés pour le prince Esterhazy; ensuite à Varsovie, où l’élite de la société polonaise l’appelait, pour dresser le plan d’un monument en l’honneur du prince Poniatowski; et enfin à Copenhague, où l’attendaient, après une absence de vingt-trois ans, les témoignages les plus ardents d’une admiration passionnée.

A Munich, à Vienne, à Varsovie, il fut reçu avec une sympathie que la simplicité de ses manières redoublait encore; on se l’arrachait dans le plus beau monde; M. de Metternich le chargea d’un monument en l’honneur du prince de Schwartzenberg; les habitants de Francfort voulurent avoir de sa main une statue colossale de leur grand poète Goethe; à Stuttgart, on lui demanda une statue de Schiller; à Varsovie, il décida que le héros polonais dont il devait faire revivre le souvenir porterait le costume national, et serait placé dans le faubourg de Cracovie, en regard de Sigismond; la famille Potoçki lui demanda une statue du jeune prince de ce nom, mort glorieusement au champ d’honneur. Mais ce fut surtout en Danemark que sa présence produisit un véritable effet d’enthousiasme; la ville de Copenhague se mit en fête pour le recevoir; le roi le nomma conseiller d’Etat; c’était à qui pourrait le revoir, lui parler, lui serrer la main. Dans l’espace de vingt ans, dit son biographe danois, M. Thiele, il était bien changé; mais il avait gardé toute la fraîcheur, toute la jeunesse de ses premières affections. Son imagination ravivait tous ses souvenirs, et son cœur se dilatait à la vue des lieux où il avait vécu dans son enfance. On lui avait fait préparer une demeure et un atelier dans l’édifice de l’Académie. Quand il y entra, un homme l’attendait sous le vestibule: c’était le vieux portier qui l’avait vu venir là tant de fois. Thorwaldsen lui sauta au cou et l’embrassa.

Ce premier retour au pays natal ne fut pas de longue durée: pressé par les nombreux travaux qu’il avait promis, Thorwaldsen repartit après quelques mois. Il était à Vienne en novembre 1820, lorsqu’il apprit que le plancher de son atelier, à Rome, s’était écroulé, que deux de ses statues , l’Amour et un Pâtre, avaient été écrasées et plusieurs autres gravement endommagées. Cette nouvelle précipita son départ pour l’Italie , et à la fin de 1820 il était rentré à Rome, où il s’occupait, avec une nouvelle ardeur, d’accroître sa renommée par l’exécution des différents travaux que nous venons d’indiquer plus haut, et de plusieurs autres parmi lesquels nous citerons un monument funéraire en l’honneur de Pie VII, un buste du cardinal Consalvi, un monument pour le prince Eugène, dont la pose le conduisit à Munich en 1830, une statue du roi Maximilien de Bavière, les monuments de Schiller, de Goethe, de Guttenberg, de Conradin, une statue de Copernick pour Varsovie, une belle statue de Byron assis sur les ruines de la Grèce, et, enfin, une belle collection de sculptures dont je reparlerai, destinée à orner la cathédrale de Copenhague.

C’est seulement en janvier 1838, après une nouvelle absence de dix-huit ans, que Thorwaldsen annonça son intention de quitter Rome, où s’était élevée sa gloire, pour n’y plus revenir qu’une fois. Avant de le suivre en Danemark nous emprunterons à un article publié dans l’Artiste quelques détails sur sa vie à Rome et sa personne.

“Thorwaldsen, dit l’auteur de cet article (M. Fayot), demeure à Rome, sur le mont Pincio, rue Sixtine, au palazzo Tomachi. Le premier étage est consacré à son habitation. L’atelier est plus haut; on y parvient par un escalier étroit. Lorsque vous frappez à la porte, c’est le grand statuaire qui vient tous ouvrir lui-même, à l’exemple du Poussin. La simplicité de son ameublemeut est tout à fait primitive, mais une foule de belles peintures ornent les murs de ses appartements. Là sont des bibliothèques remplies de livres, des vases rares, des collections de médailles, de pierres. Vous apercevez partout de charmantes gravures, des esquisses, des portraits de princes et d’artistes. Un jardin précède la maison, et l’on y descend de l’atelier même. Les mauves, les fleurs rouges, l’aloès, les roses sauvages enveloppent cà et là quelques blocs de marbre.

“Thorwaldsen se fait remarquer par sa grande activité, par la vive attention qu’il donne à tous les objets dont il s’occupe. Vous suivez l’idée dans son travail avec une aisance extrême. Sa conversation, lorsque son travail n’est qu’une simple exécution, est facile, enjouée, en même temps que remplie d’esprit et de finesse. Personne, parmi les artistes, ne porte plus de dévouement et d’intérêt à ceux qui commencent avec zèle la carrière. Thorwaldsen est une des plus grandes existences qui aient acquis leur droit de cité dans le monde artistique. L’art lui a donné le rang le plus élevé, un rang que nul n’efface, même en Allemagne, dans ce pays des positions héréditaires. C’est incontestablement un artiste de premier ordre. Il joint à une énergie rare cetto souplesse facile qui semble n’être le partage que des talents élégants…. Il finit sa vie, commencée si durement au milieu du peuple, dans les premiers rangs de la société, où sa présence inspire autant d’intérêt que de vénération. Fils d’un rustique sculpteur de chantier, il est devenu sur ses vieux jours l’ami intime de son roi; il est recherché, idolâtré par tout ce qui cultive le mérite transcendant eu Allemagne. C’est aujourd’hui un beau vieillard, aux magnifiques cheveux blancs, un peu voûlé, mais d’une santé encore robuste. Doué de ce langage facile et fécond des; hommes qui ont fait eux-mêmes leur éducation, sa simplicité, dans laquelle pourtant s’est empreint l’esprit de ses hautes relations, a le charme modeste et naïf du génie allemand;— ce portrait, si j’en crois d’autres renseignements, nécessiterait quelques touches de plus pour rendre le côté habile et fin du caractère de Thorwaldsen.”

Ce fut une grande joie dans tous les pays Scandinaves, car la Suède et la Nonvége considèrent aussi Thorwaldsen comme un de leurs enfants, ce fut une grande joie lorsqu’on apprit qu’au printemps de l’année 1839 l’illustre sculpteur se proposait de venir terminer ses jours dans sa patrie. De Rome il alla d’abord à Milan, pour voir sa fille unique, mariée à un colonel italien au service de l’Autriche; il l’a, je crois, perdue depuis, et elle n’a point laissé d’enfants; car, comme nous le verrons plus loin, Thorwaldsen a légué toute son opulente fortune au musée de Copenhague, qui porte son nom.

Un roi rentrant dans sa capitale après une bataille gagnée n’excite pas une sensation plus vive que la sensation produite par la nouvelle de l’approche de l’artiste danois. Le bruit s’est répandu, écrivait un journal de Copenhague, que Thorwaldsen devait débarquer dans quelques heures. La frégate Rota, stationnée près d’Elsingor, doit être bientôt amenée en rade; une foule immense encombrait les bureaux de la douane pour faire accueil au grand sculpteur. On a bientôt appris qu’il avait été reçu avec le plus vif enthousiasme par les habitants d’Elsingor et d’Elsingfor. Les députations des deux villes, suivies d’un grand nombre de citoyens et de dames, se sont approchées de la frégate sur des bâtiments à vapeur suédois et danois. La foule a salué par des cris de joie le vieillard rendu à sa patrie après une si longue absence. Un poëme avait été composé pour la circonstance. Plusieurs strophes ont été chantées; elles ont provoqué de nouveaux vivats. Cette réception si cordiale, cet accueil si flatteur de deux nations avaient ému Thorwaldsen au plus haut degré. Il lui fut impossible d’exprimer sa satisfaction autrement qu’eu serrant la main aux personnes qui l’entouraient.

L’inauguration des sculptures exécutées par lui pour la cathédrale de Copenhague, et découvertes solennellement en avril 1839, en présence du roi et de la famille royale, fut pour Thorwaldsen l’occasion d’un nouveau triomphe. La ville de Copenhague se montra reconnaissante de ce magnifique travail, qui faisait de son église la plus belle des trois royaumes scandinaves. L’œuvre de Thorwaldsen consiste en treize statues colossales en marbre du Christ et des douze Apôtres, qui entourent des fonts baptismaux d’un travail exquis. Ces fonts se composent d’un ange à genoux, le front ceint d’une couronne de roses, et tenant de la main droite une coquille dans laquelle est l’eau baptismale.

Thorwaldsen voulut être le parrain du premier enfant baptisé sur ces fonts; cet enfant était celui de son élève et ami intime, le sculpteur danois M. Freund.

Non moins distingué par sa générosité que par son talent, Thorwaldsen, qui devait recevoir pour ses sculptures environ deux cent mille francs, écrivit au ministre des finances qu’il consacrait cette somme à l’établissement du musée qui porte son nom, et auquel le roi a consacré une aile de son propre palais.

Partagé entre les soins de l’arrangement de ce musée, les relations de société et de cour que lui imposait sa gloire, et la satisfaction de ce besoin de travail qui l’a dominé jusqu’à son dernier moment, Thorwaldsen, occupé entre autres ouvrages d’une statue de Luther pour Eisleben, séjourna à Copenhague jusqu’au 21 mai 1841. A cette époque il partit de nouveau sur un bateau à vapeur de la marine royale que le roi avait fait mettre à sa disposition pour le conduire à Rostock, d’où il devait se rendre à Rome par Francfort-sur-le-Mein, Paris, Marseille et Livourne. Mais, en partant, l’illustre vieillard fit insérer dans les journaux une note où il déclarait que son voyage n’avait d’autre but que de terminer quelques affaires en Italie; d’en rapporter pour le musée Thorwaldsen ses précieuses collections d’art, et qu’aussitôt que ce but serait atteint il reviendrait mourir dans sa patrie. Cette promesse fut religieusement tenue; le vieux sculpteur , après un voyage de quelques mois, reparut à Copenhague avec ses belles collections d’art, et on le vit consacrer ses derniers jours aux mômes travaux qui avaient fait la gloire et le bonheur de sa vie. Les Danois le montraient aux étrangers comme leur plus précieux trésor, lorsqu’une mort imprévue est venue l’enlever à leur amour. Le 24 mars 1844, Thorwaldsen, assistant au théâtre royal à une première représentation, fut frappé d’une attaque d’apoplexie foudroyante et expira dans sa loge même, au milieu de la consternation universelle.

Thorwaldsen, disait un journal de Copenhague, a travaillé jusqu’au dernier moment de sa vie. Dans la matinée du jour où il est mort, il dessinait une statue d’Hercule, et, peu de moments avant d’aller au théâtre où le frappa l’attaque d’apoplexie foudroyante à laquelle il a succombé, il modelait un buste de Luther, et venait d’achever le modèle d’une statue équestre du feu roi Frédéric VI.

Il a laissé une fortune qu’on évalue à près de 2 millions de rigsbankdelers, environ 4 millions de francs, et qu’il a leguée tout entière au musée fondé à Copenhague et qui porte son nom, établissement où se trouvaient déjà déposées ses riches collections.

Thorwaldsen était président honoraire de l’Académie pontificale des Beaux-Arts de Saint-Luc à Rome, membre associé étranger de l’institut de France, ainsi que de presque toutes les Académies de l’Europe. Le feu roi de Danemark lui avait accordé des lettres de noblesse et l’avait créé grand’croix de l’ordre de Danebrog. Le roi des Français l’avait nommé en 1831 oflicier de la Légion-d’Honneur.

Ses funérailles furent d’une magnificence bien rare dans l’histoire des arts. L’on peut dire, écrivait un journal danois, que jamais, depuis l’antiquité grecque, la perte d’un artiste n’avait causé une douleur plus générale, et que jamais artiste ne fut l’objet d’obsèques plus magnifiques.

Toute la population, depuis le roi jusqu’au dernier citoyen, avait voulu y prendre part. Dès la veille de la cérémonie, tous les établissements publics, toutes les boutiques, tous les ateliers étaient fermés et toutes les affaires se trouvaient interrompues; on ne voyait dans les rues que des personnes vêtues de deuil, ou portant au moins un crêpe au chapeau ou au bras. Le matin, dès cinq heures, la place Neuve-du-Roi, et toutes les rues et places que le convoi devait traverser, étaient couvertes de sable blanc jonché de Heurs et de verdure; la façade de la plupart des maisons, même des rues et places adjacentes, était couverte de draperies noires, dont quelques-unes portaient le chiffre du défuntbrodé en argent et entouré d’une couronne d’immortelles.

Le corps de Thorwaldsen, embaumé par les médecins du roi, avait été exposé sur un magnifique lit de parade, pendant trois jours, dans la grande salle des antiquités de l’Académie royale des Beaux-Arts (au palais de Charlottembourg). Le matin des funérailles il fut enfermé, en présence des professeurs de l’Académie, dans un cercueil de plomb, qui lui-même fut placé dans un autre en cuivre, et ce dernier dans une magnifique bière en noyer, ornée de tous les côtés de bas-reliefs allégoriques rappelant les principales phases de la vie de Thorwaldsen.

A onze heures et demie, des salves d’artillerie donnèrent le signal du départ. Enlevé par les professeurs et les élèves de l’Académie des Beaux-Arts, le cercueil fut déposé dans le corbillard de la famille royale, qui a la forme d’un trône, et dont le dais a plus de vingt mètres d’élévation. Ce magnifique char funèbre était attelé de huit chevaux blancs caparaçonnés, conduits par des écuyers royaux. Les coins du drap mortuaire étaient portés par les quatre professeurs les plus anciens de l’Académie. Immédiatement après le corbillard marchait S. A. le Prince royal, suivi des autres princes de la famille royale et des professeurs de l’Académie; puis venaient toutes les autorités ecclésiastiques, civiles et militaires, les professeurs de l’Université, suivis des étudiants au nombre d’environ huit cents; les élèves de toutes les écoles, toutes les corporations des arts et métiers et des marchands, avec leurs insignes et leurs bannières, les marins de la Flotte royale et des navires marchands; enfin la majeure partie de tout le reste de la population. Le convoi était précédé et suivi de détachements de la garde nationale à cheval; la troupe de ligne et la garde nationale à pied formaient la haie dans les rues. De presque toutes les croisées on jetait des fleurs sur le char funèbre, et, pendant tout le trajet du palais de Charlottembourg à la cathédrale, des choraux et des marches funèbres ont été exécutés avec des instruments à vent par les musiciens de la ville, placés au haut des tours do toutes les églises, ce qui ne se pratique qu’aux funérailles des membres de la famille royale.

Les canons des remparts tiraient des coups toutes les minutes. La cathédrale était tendue de noir et faiblement éclairée par des lampes en marbre blanc. A l’entrée de l’église, où la reine et les princesses se trouvaient dans leurs tribunes, le cercueil a été reçu par Sa Majesté le roi lui-même, qui l’a accompagné jusqu’au catafalque placé en face du maître autel, où on l’a déposé.

Après les cantiques d’usage, l’évêque de Seeland a prononcé un discours; ensuite deux cantates, écrites et mises en musique pour la circonstance, ont été exécutées, l’une par les artistes du théâtre royal italien , l’autre par ceux du théâtre national et ceux de la chapelle-musique du roi.

En lisant de pareils détails, en voyant un roi et tout son peuple escorter ainsi la dépouille d’un sculpteur, on se croit en effet reporté aux beaux jours de la Grèce antique. Quand bien même on penserait qu’il y a dans la renommée de Thorwaldsen un peu d’exagération patriotique, il est impossible de ne pas être touché de cette naïve et affectueuse admiration, et l’on doit reconnaître que de tels hommages rendus à un simple artiste honorent le Danemark et son roi tout autant que Thorwaldsen.

General Comment

Dette er en trykt biografi om Thorvaldsen, publiceret i det franske tidsskrift Galerie des Contemporains Illustres. Teksten gennemgår Thorvaldsens liv og kunstneriske virke fra ungdommen i København til hans begravelse i 1844.

Archival Reference
Småtryk 1846, L. de Lomenie
Subjects
Thorvaldsen as a Danish National Symbol · Thorvaldsen's Death · Thorvaldsen's Homecoming 1838 · Thorvaldsen's biography, comtemporary
Persons
Nicolaus Esterházy · Bertel Thorvaldsen
Last updated 06.09.2016 Print