No. 10233 of 10318
Sender Date Recipient
Charles Blanc
Redaktørerne ved Le Moniteur Universel
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Sender’s Location

Paris

17.10.1849 [+]

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Dateringen fremgår af dokumentet.

Jules Armand Dufaure [+]

Recipient’s Location

Paris

Abstract

Report to the French Minister of the Interior Armand Dufaure about Art Director Charles Blanc’s mission to Thorvaldsen’s Museum in order to buy works for the French national collections. He describes the style, the arrangement, the lighting, and the decoration of the museum, and he mentions the sale in the entrance hall that attracted foreign delegations.

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INTÉRIEUR.

Paris, le 17 octobre.

Rapport au ministre de l’intérieur sur la mission du directeur des beaux-arts à Copenhague.

Monsieur le ministre,

Envoyé par vous en mission à Copenhague pour assister à la vente Thorwaldsen et y acheter les objets d’art qui me paraîtraient dignes de figurer dans nos collections nationales, je viens vous rendre compte du résultat de ma mission, et vous faire part, si vous le permettez, de quelques observations que j’ai recueillies dans l’intérèt de l’art.

La ville de Copenhague possède, vous le savez, un vaste musée consacré uniquement aux ouvrages de Thorwaldsen. Ce musée, voisin du palais de Christiansborg, est bâti dans le style égyptien, qui fut le style le plus élevé de l’art antique, et qui, par cela même, n’est pas sans convenir à un musée de sculpture. L’édifice se compose de deux galeries et de vingt et une chambres, dont chacune renferme une statue ou un groupe de Thorwaldsen avec des bas-reliefs. Les murailles, rembrunies de diverses couleurs, font ressortir la blancheur du marbre, et, par leur nudité même, laissent toute leur valeur aux sculptures, sur lesquelles tombe d’en haut une lumière tranquille et ménagée. Les plafonds seulement sont égayés d’ornements dans le goût des peintures d’Herculanum.

Aux deux extrémités du musée sont de vastes et hautes salles, dont l’une renferme les modèles du Christ et des Douze apôtres que Thorwaldsen a sculptés pour la principale église protestante de Copenhague ; l’autre, mesurant la largeur de l’édifice, contient à elle seule tous les grands ouvrages du sculpteur danois. Là sont rangés dans un ordre imposant la statue équestre colossale de Poniatowski, qui a été coulée en bronze et devait être érigée sur une des places de Varsovie; le cheval du monument de Maximilian de Bavière, qui est à Munich ; les énormes moulages du mausolée de Pie VII, qui se voit à Rome; les grandes figures de Copernic et de Guttemberg, et enfin le tombeau où s’élève la statue pensive du prince Eugène, tenant son épée sur son cœur. Sous la corniche règne la frise monumentale du Triomphe d’Alexandre, que Napoléon avait commandée à Thorwaldsen pour le palais du roi de Rome, et qui fut exécutée en marbre au Quirinal.

C’est dans ce vestibule, au pied de ces colosses, que la vente a eu lieu le lundi, 8 octobre. Les membres des légations étrangères y assistaient. On y remarquait le ministre de Prusse, M. de Werther, qui avait commission pour le musée de Berlin; les ministres d’Angleterre et d’Espagne, M. Wynn et M. Cueto, deux amateurs éclairés, qui étaient venus pour représenter, l’un de riches particuliers anglais, l’autre le gouvernement espagnol, et notre ministre plénipotentiaire, M. Dotezac, qui avait bien voulu m’accompagner et me donner un interprête.

La vente se composait de marbres exécutés pour la deuxième ou troisième fois d’après les modèles de Thorwaldsen, et de plàtres dont la plupart sont des épreuves doubles, mais uniques. Ayant reconnu dès la veille que les marbres étaient assez faibles d’exécution, et sachant d’ailleurs que Thorwaldsen y touchait rarement, j’ai renoncé à les acquérir, dans la pensée que nos habiles praticiens de France pourraient au besoin nous eu donner de meilleurs et de plus finis, s’il n’était, pas plus sage de s’en tenir aux modèles. J’ai donc abandonné à mes compétiteurs la statue de Mercure, l’Amour, le Ganymède agenouillé donnant à boire à l’aigle de Jupiter, les trois Gràces, et nombre de bas-reliefs parmi lesquels la Nuit portant dans ses bras le sommeil et la mort, et le front ceint d’une couronne symbolique. Nous avons à Paris le moulage de celte composition célèbre tant de fois reproduite en marbre et toujours admirée. C’est un heureux mélange de puissance et de grâce. La plénitude des formes n’empêche pas qu’elles n’aient aussi de l’élégance et une sorte de légèreté majestueuse.

Presque tous ces marbres ont été adjugés à l’Espagne, au ministre anglais et aux amateurs de Copenhague. Sont venus ensuite les modèles en plâtre, et j’ai été assez heureux pour acquérir les plus beaux.

Celui du Mercure se préparant à tuer Argus porte le pétase ailé qui n’est point dans le marbre vendu à la légation espagnole. C’est là un chef-d’œuvre. Thorwaldsen n’est, pas l’homme de l’art remué et hardi des temps modernes; c’était un classique pur, austère, qui ne se permettait le mouvement que dans une sobre mesure. Il était toujours calme, quelquefois jusqu’au sommeil; mais dans ce Mercure il a choisi un sujet où la figure promet le mouvement sans l’accomplir, et de cette manière il a pu modeler sa statue avec délicatesse, accuser les muscles sans les contracter, laisser aux lignes leur tranquillité et leur grandeur, et ne pas froncer le visage pour lui prêter une expression que désavouerait, la sérénité de l’art antique.

La Vénus, l ’Hebé et le Ganymède debout m’ont été adjugés pour des prix modérés, la direction du Musée s’étant abstenue d’enchérir ces précieux modèles qui, à sa vive satisifaction, allaient prendre le chemin de la France. L’Hébé soutout est remarquable par le charme et la naïveté de son attitude: elle est vétue dé cette tunique athénienne que portait Aspasie devant l’aréopage.

Restait la statue équestre colossale de Poniatowski,. dont le cheval seul était mis en vente par la direction du Musée, qui ne possède qu’une épreuve de cavalier. Ce monument est curieux à plus d’un titre. Il était destiné à la décoration d’une grande fontaine à Varsovie, et c’est pour cela que, dans la première esquisse, le cheval reculait d’effroi devant les eaux de la fontaine, rappelant ces flots de l’Essler qui, suivant le mot de Lamarque, murmurent encore le nom de Poniatowski. La statue coulée en bronze allait être érigée quand éclatèrent les révolutions de Pologne. Maître de Varsovie, l’empereur s’opposa, dit-on, au placement de la statue, et il est certain que, par le plus étrange des mystères, on ignore aujourd’hui ce qu’est devenu le monument. Je tiens d’un haut personnage que cette statue, changée en un saint George, aurait été transportée dans la citadelle de Modlin.

Ces circonstances donnaient un double prix au modèle mis en vente; et, dans l’espoir fondé d’obtenir de la ville de Copenhague un moulage du cavalier, je me suis rendu acquéreur du cheval de Poniatowski, ainsi que du modèle réduit du cheval de Maximilian. La France possédera ainsi un monument qui n’est pas moins intéressant pour elle que pour les Polonais eux-mêmes, puisqu’il rappelle le découragement sublime d’un héros qui mourut en la servant.

Thorwaldsen excellait surtout au bas-relief, cet art éminemment classique, sévère et convenu. Dans sa tète scandinave, au masque élargi et puissant, l’arrangement des lignes et la pondération des groupes dominaient toujours l’inspiration. Aussi ai-je dû enchérir divers bas-reliefs de choix et notamment la célèbre frise du triomphe d’Alexandre, dont on offrait a la vente un exemplaire modelé en 1818 sur une échelle réduite, et portant les traces de la mise au point pour l’exécution en marbre.

Telles sont les acquisitions que j’ai faites à Copenhague pour le compte de l’Etat. Le public en pourra juger, quand elles seront exposées dans une des salles du Louvre, destinées aux moulages des monuments étrangers. Imputées sur le crédit des musées, ces acquisitions laissent intact le crédit des ouvrages d’art, du reste, consacré à nos artistes.

Je n’ai pas besoin de vous dire, monsieur le ministre, que la mission dont j’étais investi m’a valu en Danemark l’accueil le plus flatteur de la part de M. de Leventzau, grand maréchal, de M. de Moltke, premier ministre, qui a eu l’obligeance de m’ouvrir sa galerie particulière, une des plus précieuses de l’Europe, et enfin de M. Thiele, bibliothécaire du roi et savant iconographe, qui avait été désigné pour me faire les honneurs du musée et des grandes collections.

Avant de quitter le musée Thorwaldsen, j’ai voulu le parcourir une dernière fois en compagnie de notre ministre. Je me suis arrêté devant la statue de madame Bariatinska, dont nous aurons une épreuve; statile charmante où la grâce et la dignité antiques se marient à l’expression d’une tête profondément humaine. En contemplant ces ouvrages, pour la plupart d’un calme solennel, en admirant ces figures auxquelles n’ont rien à envier, d’ailleurs, ni les belles déesses de Pradier, ni les mâles héros de David, nous nous disions que la France, si féconde en grands sculpteurs, était peut-être la seule nation à qui l’impartialité fût aussi facile. Comme nous passions dans la cour intérieure, j’ai remarqué un petit gazon j entouré de marbre noir. C’est la tombe modeste où gît, au milieu même de son œuvre, l’illustre statuaire, l’humble fils d’un pècheur Islandais.
Agréez, monsieur le ministre, l’hommage de mon respect.

Le directeur des Beaux-Arts.

CHARLES BLANC.

General Comment

Denne artikel udkom i den franske avis Le Moniteur universel d. 18. oktober 1849.

Archival Reference
M17,56 (Thorvaldsens Museums Småtryk-Samling 1849)
Subjects
Auctions at Thorvaldsens Museum · Thorvaldsens Museum, Establishment of
Persons
Just Mathias Thiele
Works
Last updated 13.05.2020 Print