This is a re-publication of an article in Meddelelser fra Thorvaldsens Museum (Communications from the Thorvaldsens Museum) 1952, p. V-VIII.
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C’était dans l’année fatale 1812 que Thorvaldsen entra en relations avec les milieux dirigeants polonais. Au mois de juin, à la veille de la campagne de Russie, Napoléon avait reçu une délégation de la Diète polonaise à Wilno, et à cette occasion il avait exprimé, à mots couverts il est vrai, l’espoir de la reconstitution du royaume de Pologne. Afin de fixer pour l’avenir ces paroles importantes, on chargea l’architecte Peter Aigner (environ 1760-1841) de créer un cadre digne de renfermer un tableau portant la promesse de Napoléon. Selon le projet de l’architecte la plaque commémorative devait être suspendue au-dessous d’un architrave supporté par deux cariatides. Le 23 décembre 1812 Aigner passa lui-même à Rome un contrat avec Thorvaldsen concernant la livraison de deux cariatides en marbre à chapiteaux et piédes- taux sur mesures données et dans le délai d’un an à compter de la date du contrat.
Evidemment, Thorvaldsen s’est mis à l’œuvre tout de suite. Quelques croquis au crayon des statues, qui se trouvent au Musée Thorvaldsen, sont datés de sa propre main »Décembre 1812«. Au printemps il modela la première cariatide et au cours de l’automne suivant la deuxième. Cependant, vers la fin de l’année 1812 la situation politique avait déjà tellement changé par suite de la défaite de Napoléon que la Pologne ne pouvait plus attendre aucun appui pour ses projets d’indépendance de la part de la France. Ainsi le monument avait perdu sa raison d’être. Thorvaldsen fit, néanmoins, sculpter ses cariatides en marbre; avec la frise d’Alexandre elles furent acquises pour le château de Christiansborg à Copenhague en 1818, où elles furent érigées dans la salle du trône en 1826. Malheureusement, elles furent détruites lors de l’incendie du château en 1884.
Les nombreux aristocrates polonais aisés qui faisaient des séjours plus ou moins longs en Italie, et parmi lesquels Thorvaldsen trouva quelques-uns de ses admirateurs les plus chaleureux, ont certainement contribué à attirer l’attention sur le sculpteur danois chaque fois qu’il s’agissait d’un monument important. Ainsi, Thorvaldsen avait un intermédiaire puissant en Stanislaw Poniatowski, collectionneur d’art de grande envergure. Celui-ci reçut, entre autres, dans son palais de Rome le prince héréditaire danois Christian Frédéric (plus tard Christian VIII) et son épouse lors de leur séjour en Italie en 1820-1821.
Par une lettre de la comtesse Anna Potocka Thorvaldsen avait déjà en 1816 reçu la première demande d’un monument pour son parent, le jeune comte Wlodzimierz Potocki, mort en 1812 après avoir glorieusement prit part aux guerres napoléoniennes. La même année, 1816, Thorvaldsen modela un bas-relief pour le tombeau, dans l’église des Dominicains à Lwôw, de la comtesse Jozefa Borkowska, née Olizar (morte en 1811), sur la commande de son fils. Le sujet de l’œuvre est une mère, enlevée par le Génie de la Mort, quittant son fils désespéré.
En 1817 il reçut la commande du monument équestre du héros national polonais Joseph Poniatowski. Par cette œuvre le nom de Thorvaldsen fut lié à jamais à celui de la Pologne. Les rapports suivis entre Thorvaldsen et la Pologne par suite des longues années de négociations concernant la forme définitive du monument, entraînèrent une série d’œuvres d’art plus ou moins grandes exécutées pour des particuliers polonais.
Le séjour de Thorvaldsen en Pologne à son retour du Danemark en automne 1820 resserra encore les liens cordiaux. A Varsovie fut signé le contrat définitif pour le monument Poniatowski, et Thorvaldsen reçut aussi la commande de la statue de Copernic. On avait l’intention de placer cette statue, coulée en bronze, devant un nouvel édifice de la Société des Amis des Sciences et des Lettres. Thorvaldsen assista à la pose de la première pierre en septembre 1820. Quand la statue de bronze de Copernic avait été dévoilée en 1830 devant le palais Staszic, appelé ainsi d’après son bâtisseur, Stanislaw Staszic, président de la Société, Thorvaldsen fut nommé membre correspondant de ladite Société. En 1934, une plaque commémorative pour Thorvaldsen fut posée à la façade de cet édifice.
Pendant sa visite à Varsovie Thorvaldsen entra en relation avec toutes les notabilités polonaises de l’aristocratie, de l’art et de la science. Il visitait toutes les collections d’art et les autres curiosités. Le général Mokronowski avec qui Thorvaldsen avait correspondu au sujet du monument Poniatowski lui remit, le 26 septembre, le Guide du Voyageur en Pologne et dans la République de Cracovie qui venait de paraître et qu’il avait muni de sa propre dédicace. Cette ravissante publication, illustrée de planches de certaines vues particulièrement intéressantes, et renfermant des cartes de Varsovie et de Cracovie, se trouve toujours dans la bibliothèque privée de Thorvaldsen au Musée.
On ne sait pas au juste si ce fut pendant ce séjour à Varsovie ou pendant le séjour de la comtesse Anna Potocka à Rome en 1826 et 1827 que Thorvaldsen modela le buste de la comtesse qui joua un rôle si prédominant dans les négociations concernant le monument de Poniatowski et la statue de Wlodsimierz Potocki. Thorvaldsen fut portraituré lui-même par le prince Anton Radziwill qui, bien des années plus tard, rappelait dans une lettre à Thorvaldsen le dessin qu’il avait fait de lui; et l’université de Varsovie profita de l’occasion pour commander des moulages de toutes les œuvres de Thorvaldsen.
A Varsovie Thorvaldsen trouva deux nouveaux collaborateurs. Le comte Stanislaw Kostka Potocki, beau-père d’Anna Potocka, qui était ministre de l’éducation nationale, procura au sculpteur Paul Malinski (mort 1853) un subside de l’État lui permettant d’accompagner Thorvaldsen à Rome et d’y continuer sa formation sous la surveillance de Thorvaldsen. Thorvaldsen fit, en outre, la connaissance du jeune Tatarkiewicz (17981859) qui se joignit à lui quelques années plus tard à Rome.
Du 20 au 28 octobre, Thorvaldsen séjourna à Cracovie, où il devint encore plus populaire si possible. C’était justement à cette époque que des volontaires de toutes les couches de la population polonaise étaient en train d’élever un tertre commémoratif au héros polonais de l’indépendance Thadée Kosciuszko (1746-1817) à la montagne St. Bronislawa près de Cracovie. Thorvaldsen, accompagné de la célèbre cantatrice Catalani se joignit aux foules qui se dirigeaient vers la montagne. Ils saissirent, tous les deux, brouette et pelle afin de jeter de la terre sur le tertre.
A Varsovie le contrat définitif pour la statue de Wlodzimierz Potocki fut signé. Alors Thorvaldsen eut l’occasion de voir la place dans la cathédrale de Wawel, où, d’après le projet, la statue de marbre devait être placée à son temps. Thorvaldsen visita aussi la superbe vieille église Sainte-Marie à Cracovie; là, grâce à son enthousiasme sincère et pour les vitraux romains et pour le magnifique autel de la Vierge sculpté sur bois par Wit Stwosz dans la même église, il contribua à sauver ces précieuses œuvres d’art, qu’un clergé incompréhensif allait mettre au rebut comme reste d’une époque barbare. On se souvient de l’admiration de Thorvaldsen pour une autre magnifique sculpture sur bois, le rétable de Hans Brüggemann, qu’il vit en 1819 pendant son voyage pour le Danemark dans la cathédrale de Slesvig. Il dit alors qu’on pouvait ajouter foi à son jugement, puisqu’il avait été lui-même sculpteur sur bois. Avant de quitter la Pologne, Thorvaldsen fit une excursion aux mines de sel de Wieliczka.
Plus tard dans la vie de Thorvaldsen les commandes venues de Pologne ne manquaient pas non plus. Lorsque le général Mokronowski, le zélateur le plus ardent du monument de Poniatowski, morut en 1821, sa veuve demanda à Thorvaldsen d’exécuter son monument funéraire, déstiné à être érigé dans l’église de la Sainte-Croix à Varsovie. Il en fit aussi quelques esquisses, mais la chose n’aboutit pas.
En 1829, le comte Arthur Potocki (17871832) faisait un séjour à Rome, où Thorvaldsen modela son buste; il acquit aussi un exemplaire en marbre de la statue de Mercure qui se trouve encore aujourd’hui à Krzeszowice, château d’été du comte, à quelques lieux de Cracovie. Quelques années après, sa veuve commanda un exemplaire en marbre du buste, ainsi qu’un buste de sa mère, la comtesse Julie Potocka, née Lubomirska (environ 1760-1794), un bas-relief avec des enfants en prière et une réplique en grandeur naturelle de la statue du Christ de Thorvaldsen, tout cela déstiné à l’ornement de la chapelle funéraire des Potocki dans la cathédrale de Wawel. Ces œuvres se trouvent toujours dans la chapelle.
Bien plus tard, en 1835 même, Thorvaldsen reçut la commande d’un monument funéraire pour la Pologne. Il modela un basrelief qui représente deux jeunes gens, un fils et une fille, quittant leur mère éplorée; cette œuvre est placée dans la chapelle du château de Czerwonogrôd (Podolie) en commémoration des enfants de la princesse Hélène Poninska. Il faut y ajouter un exemplaire en marbre du buste du fils, le jeune prince Ladislas Poninski.
Au musée de Poznân se trouve une belle statue en marbre par Thorvaldsen, son Ganymède débout avec l’aigle à ses pieds, qui provient de la collection du prince Athanase Raczynski. Le modèle est exécuté déjà en 1804 sur commande de la comtesse russe Irène Worontzoff ; l’exemplaire du musée de Poznân fut commandé en 1818 et livré en 1820. Enfin, on trouve au Musée national de Cracovie le buste en marbre de la pianiste Marja Szymanowska, née Wolowska (17951834), que Jacob Tatarkiewicz exécuta d’après le modèle de Thorvaldsen et sous ses directives.
On a l’impression qu’un flot continu d’amateurs d’art polonais ont passé par les ateliers de Thorvaldsen à Rome. Dans les années 1810-20 la plupart des visiteurs appartenaient à la noblesse; à partir de 1820 environ les intellectuels, artistes, poètes et musiciens entrèrent en jeu. Nous pouvons en découvrir les traces dans les lettres d’introduction qui se trouvent dans les archives de lettres dans son musée. Souvent les mêmes personnes apparaissent dans la littérature de mémoire de l’époque. Là, nous pouvons aussi suivre la réaction d’un nouveau temps vis-à-vis du classicisme de Thorvaldsen. Les représentants du goût du vieux temps allaient en Italie pour trouver une Arcadie. Dans ce domaine Thorvaldsen était souverain absolu. Les hommes du nouveau temps venaient à Rome avec des rêves romantiques et nationaux qui n’étaient pas assouvis par la rencontre avec la blancheur du marbre classique. Les uniformes pittoresques de l’époque et la vie bigarrée du peuple les attiraient plus que les vêtements grecs et romains et le monde des dieux olympiens. Ils venaient toujours, il est vrai, pour témoigner leur respect à Thorvaldsen, mais leurs propres idéaux artistiques prenaient une autre direction.
Une très grande partie des correspondants de Thorvaldsen étaient Polonais. Il recevait de nombreuses lettres, surtout des Polonaises qui étaient, selon l’affirmation des connaisseurs (entre autre celle de Stendhal) les plus belles, les plus intelligentes et les plus charmantes du continent. Ces lettres traitent non seulement de commandes et de commissions, mais sont l’expression d’une vraie admiration et d’un dévouement sincère pour le grand artiste, elles sont même confidentes. Par exemple, Marja Szymanowska n’a pas écrit moins de onze lettres dont quelquesunes très longues à Thorvaldsen, où elle parle librement d’elle-même, de sa famille, des amis polonais et des artistes.
Il n’est pas étrange que Thorvaldsen est le nom d’artiste européen le plus célèbre en Pologne. Avant la guerre tout enfant le connaissait, et pendant beaucoup d’années une grande partie des touristes qui visitaient le Musée Thorvaldsen étaient Polonais. La deuxième Grande Guerre qui fut si cruelle pour la Pologne n’épargna pas non plus les œuvres magistrales de Thorvaldsen à Varsovie. La statue de Copernic fut renversée de son socle, percée de balles et transportée en Allemagne. Pourtant elle a pu être réparée par la suite et se trouve de nouveau à sa place. La statue de Poniatowski fut entièrement détruite, or un nouvel exemplaire en bronze se dresse maintenant dans la ville de Varsovie, confirmant le vieux lien entre Thorvaldsen et la Pologne.
Last updated 27.05.2020