This is a summary of an article in the journal Meddelelser fra Thorvaldsens Museum (Communications from the Thorvaldsens Museum) 1970, p. 162-168.
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Dès son arrivée à Rome en 1797, Thorvaldsen entra dans le cercle de A.J. Carstens et y rencontra notamment les paysagistes J.C. Reinhart, Joseph Anton Koch et George August Wallis. Pour eux, la peinture de paysage était un genre à mettre sur le même plan que la peinture d’histoire. Le paysage-portrait ou la «vue», spécialité dont Jakob Philipp Hackert était le maître incontesté, voilà qui semblait maintenant stérile et creux. Il ne suffísait plus de reproduire la nature, il fallait en peindre l’âme, comme l’avaient fait jadis Nicolas Poussin et Claude Lorrain. Nature et idéal étaient des notions compatibles, et les beaux-arts formaient la suite naturelle de la poésie. Le paysage, lui, était la musique de la peinture. Tout le monde ‒ ou presque, car il y avait un Franz Sternbald3 comme exception majeure ‒ était convaincu qu’en Italie seulement il était possible de devenir un bon peintre.
Le paysagiste Pierre-Henri de Valenciennes, qui eut pour la peinture de paysage une importance comparable à celle de David pour la peinture d’histoire, publia en 1799-1800 ses Elémens de perspective pratique suivis de réflexions et conseils à un élève sur la peinture, et particuliérement sur le genre du paysage4 L’ouvrage parut en allemand en 1803, dans une traduction de Johann Heinrich Meynier.5 Cette édition se trouvait dans la bibliothéque de N.A. Abildgaard. Il se peut aussi que Abildgaard ait rencontré Valenciennes à Rome. Que le peintre danois ait eu connaissance de la perspective telle que l’enseignait Valenciennes expliquerait ses compositions d’après Térence: La jeune fille d’Andros. Thorvaldsen, qui dans ses achats de tableaux prouvait un grand intérêt pour la nouvelle peinture de paysage, possédait lui aussi le livre de Valenciennes en traduction allemande. Dans une langue très accessible, Valenciennes formulait toutes les théories avancées sur le genre du paysage qui avaient alors cours en Allemagne comme en France. Un peintre devait connaître la poésie classique et le paysage classique. Il fallait qu’il déterminât sans erreur «la position de l’oeil, la ligne de terre, l’horizon et le point de distances de même qu’il eût la science de la perspective aérienne. Valenciennes ne pouvait assez conseiller de se référer à Poussin. L’essentiel de sa pédagogie était de mettre l’accent sur l’étude d’aprés nature. En peignant un motif déjà connu, on ne faisait jouer qu’une certaine routine, qui donnait un résultat médiocre. C’est pourquoi il fallait rechercher des motifs qui n’avaient jamais été peints. On pouvait ainsi étudier la perspective aérienne d une façon plus autonome. Un croquis d’aprés nature devait étre vite exécuté car la lumiére change continuellement. Les croquis et études de Valenciennes sont pour cette raison d’un tout autre caractére que ses oeuvres définitives. Qu’il peigne Nemi ou Tivoli, ces esquisses servent uniquement de cadre aux effets de lumiére que le peintre étudie.6 Reinhart et Koch avaient les mêmes idéals que Valenciennes, mais leurs études de la nature sont d’un genre tout différent. Alors que Valenciennes s’attachait à une tonalité d’ensemble idéale, les peintres allemands, eux, voulaient parvenir au détail idéal, et il leur arrivait de passer des heures devant le même motif. Les effets de ciel et de lumiére, ils n’en faisaient point état, mais s’efforçaient, par contre, de reproduire toute fleur précieuse le plus exactement possible: le crayon ne pouvait jamais être assez aiguisé.
Depuis l’epoque de Winckelmann32 il était bien porté, parmi les artistes de langue allemande, de considérer les Français comme pervertis moralement et dénués de sérieux artistique. Les Scandinaves adoptaient pour leur part une prudente neutralité. Mais ce dédain commun de leurs æuvres respectives n’empêchait pas Allemands et Français de se rejoindre pour trouver que les peintres italiens étaient ce qu’il y avait de plus médiocre. Les Italiens, quant à eux, s’associaient au mépris général envers les Anglais. Pareils jugements se font jour dans les récits de voyages et les mémoires, tandis qu’un Turner et un Corot passent apparemment inaperçus dans le paysage romain, ou, aux mêmes endroits, ils peignent les mêmes motifs que tous les autres. Thorvaldsen fut assez diplomate pour se tenir à l’écart de toute coterie, et il ne se laissa jamais aller aux préjugés nationaux. Nous nous proposons de présenter ici les différentes écoles du «paysage» rencontrées dans son cercle, en nous fondant à la fois sur les peintures qu’il acquit et sur celles qu’il négligea d’acheter.
L’Anglais George August Wallis,8 d’abord éléve de Hackert à Naples, arriva en 1794 à Rome, ou, par l’intermédiaire de Carstens, il apprit à peindre «aus einem höheren Reich». Wallis aida pécuniairement Thorvaldsen en lui faisant dessiner les figures de ses tableaux. Thorvaldsen se procura huit dessins de Wallis,10 mais jamais aucune de ses peintures. Les æuvres de Wallis étaient diffuses et de formes floues, alors que Thorvaldsen souhaitait formes nettes et clarté. Certes, il aimait les effets atmosphériques, mais pas les brumes vaporeuses9 (fig. 1).
Simon Denis, d’Anvers, qui lui aussi peignit à Naples, faisait partie du groupe et il était fort apprécié.17 De lui pourtant, Thorvaldsen n’a pas non plus acquis de tableau.14,18
Gottlieb Schick séjourna à Paris de 1798 à 1802. Il y fut l’élève de David. A cette époque, Valenciennes enseignait la perspective et il n’est pas impossible que Schick ait connu son traité et vu ses peintures. C’est la popularité qu’obtenaient ses cours qui poussa Valenciennes à les réunir en un livre. 22 Schick débarqua à Rome en 1802 et il y rencontra J.A. Koch. Les deux peintres entamèrent en 1803 une collaboration intime qui porta ses fruits dans un grand paysage héroïque: Ruth et Booz 24,26 (fig. 2). Thorvaldsen en commanda un pendant à Schick: Paysage historique avec figures (fig. 3). Ces deux motifs sont empruntés à Poussin 28. La tonalité générale et L’interprétation de ces motifs typiques de Poussin semblent étre le résultat du séjour de Schick à Paris et d’une certaine connaissance du style classico-héroïque de Valenciennes. A l’instar de Schick, Koch tira parti du «Pays age au grand chemin» de Poussin, 30 mais d’une tout autre maniére. Dans les tableaux de Koch, l’esprit de l’Antiquité est toujours vivant (fig. 4). Le peintre allemand n’éprouvait aucune attache sentimentale à l’égard de l’Antiquité classique, mais il en sentait la continuité et vivait en elle. Dans le petit paysage d’Olevano, il est présent à la fois comme acteur et comme spectateur (fig. 5). Au premier coup d’æil, le paysage semble réel, mais les maisons du village montagnard sont copiées à l’antique et le groupe de personnages au premier plan laisse le spectateur dans le doute quant à l’époque ou il se trouve. Les couleurs employées par Koch sont pures, fortes et presque sans effet atmosphérique. Tout comme Valenciennes, Koch voulait que le tableau fût concu comme un espace sans partage entre premier plan, second plan et arrière-plan. Koch atteint cependant à l’effet voulu en évitant lignes verticales et horizontales, et en accordant la même attention à tous les détails, proches ou lointains. La couleur locale doit suffire, à elle seule, à indiquer le volume des objets et leur emplacement dans l’espace. Cette couleur locale apparait toujours chez Koch dans un minimum de perspective aérienne. Une telle conception renvoyait tout naturellement aux études des peintres allemands du moyen âge, et Koch étudia les couleurs avant tout chez Dürer et Holbein. Il aimait les tons clairs, comme si la peinture était toute fraîche. Ses détracteurs jugeaient ses tableaux par trop bariolés et y regrettaient l’absence d’une tonalité générale. La conception que Koch se faisait de l’espace influenza les gravures conçues d’aprés Poussin par Pietro Barboni et F.M. Giuntotardi et qui commencèrent à paraitre en 1810 41 (fig. 7).
Johann Christian Reinhart remplissait toutes les conditions que l’on pouvait exiger d’un paysagiste de la nouvelle école romantique. Il avait reçu une solide éducation classique. Il laissait les riches et les Anglais prendre la diligence: lui partait seul à pied pour mieux observer la nature. Il parcourait les montagnes comme le chasseur avide de grands espaces (fig. 8): le promeneur était un véritable parti pris chez les paysagistes du temps.
Il fut l’un des premiers à «découvrir» les hameaux des montagnes du Latium. Il se sentait appelé à révéler l’âme oubliée de la nature. Ses pay sages furent considérés comme des Innovations qui ouvraient de nouvelles voies. On y remarqua la claire lumiére et les ombres profondes. Reinhart, à l’image de Schick et de Koch, procéde de Poussin et de Dughet, mais il tenait Schick pour un vil plagiaire sans la moindre forme d’originalité. 46 En vrai néo-classique, Koch était cependant à méme d’affirmer qu’il avait toujours nourri du dégoût pour tout ce qui était par trop original. Si l’on regarde attentivement les cinq tableaux de Reinhart qui figurent dans la collection Thorvaldsen, le premier daté de 1793, le dernier de 1835, l’on y constatera une évolution vers le paysage dénué de tout élément atmosphérique. La prédilection pour l’air pur pouvait être considérée comme un trait typiquement nordique qui apparut seulement avec la venue des peintres scandinaves et allemands dans les paysages chargés d’atmosphére des contrées méridionales, au moment où ces mêmes peintres se mirent à exprimer toute leur nostalgie du pays natal. 47 La notion même de pureté de l’air, considérée comme un état idéal, fut tellement associée au paysage italien que les peintres scandinaves et allemands qui habitérent l’ltalie dans les années 1820-1830 ne remarquérent même plus une quelconque nébulosité. Que Thorvaldsen ait préféré les résultats de l’école Reinhart-Koch transparaît nettement de son choix: cette collection ne montre d’ailleurs aucune fâcheuse pente nationale. Une peinture de Corot aurait passé aux yeux de Thorvaldsen pour une ébauche, et n’offrait á ce titre aucun intérêt pour sa collection. De même, á aucun moment la pensée d’exposer ses propres dessins dans son musée ne l’eût effleuré. C’est de ces mêmes dispositions que Thorvaldsen a dû faire preuve á l’endroit des æuvres de deux autres paysagistes, avec qui nous savons qu’il eut des contacts: Karl Blechen, de Berlin, et Georg Dillis, de Munich. Blechen étudia le paysage romain comme en se conformant étroitement aux préceptes de Valenciennes. Il choisissait ses motifs uniquement en fonction de la lumiére. Pour Dillis aussi, l’étude de la nature était une question de lumiére et de couleur, l’observation d’un «moment» de la nature. Nous ne savons pas l’importance qu’a eue un Valenciennes pour des peintres comme Dillis et Blechen, cette importance qu’il eut pour Corot notamment. Son livre, cependant, devint un classique pour les peintres cherchant à rendre dans l’état définitif de leurs toiles un instantané de la nature. Ses conseils aux paysagistes restérent longtemps valables, à telle enseigne qu’un Pissarro, en 1883, recommandait à son fils les «Elémens» comme le meilleur guide. 52
Pierre-Athanase Chauvin fut élève de Valenciennes. Arrivé à Rome en 1802, il entra dans le cercle des amis d’Ingres et lia aussi connaissance avec Thorvaldsen qui lui acheta trois de ses tableaux. Ceux-ci ont été exécutés en 1810-1811, á une époque ou Ingres et Thorvaldsen habitaient Casa Buti. 54 Chauvin s’y manifeste comme un néo-classique de l’école de Valenciennes. Il observait l’effet de la lumiére solaire sur la couleur locale et la distance qui les sépare, et parvint á une tonalité générale de la perspective aérienne. Chez lui dominent lignes verticales et horizontales. La lumière est d un jaune froid, les formes nettes et justes du point de vue de la perspective (fig. 10 et 11).
Quand l’élève d’Abildgaard, C.W. Eckersberg arriva á Rome en 1813, il avait derriére lui un séjour de trois ans à Paris, où il avait eu David pour maître. Dans les «vues» qu’il peignit à Paris, il fait montre d’une manière pour lui toute nouvelle. Les vieux Hollandais sont loin. Il est devenu, dans le genre du paysage aussi, un vrai néo-classique, et il prouve qu il a acquis la science de la perspective aérienne ‒ ce qu’il considére au demeurant comme l’essentiel pour un paysagiste. 58 Eckersberg s’était trouvé bien à Paris et toute son activité de professeur á l’Académie des Beaux-Arts de Copenhague allait étre imprégnée de ce qu’il avait appris dans la capitale française. De Rome il fit savoir que la peinture de paysage y atteignait des sommets insoupçonnés. En compagnie de Thorvaldsen, il avait rendu visite á Chauvin, le peintre qu’il estimait le plus. Le coloris de Chauvin, ses arriére-plans, bref tout était chez lui d’une perfection que Eckersberg n’avait encore jamais rencontrée. 62 Le peintre danois trouvait en outre aux Allemands des idées bizarres quant à la peinture de paysage ‒ témoin le fait qu ils considéraient Raphael, le Pérugin et Dürer comme les meilleurs modéles. Les petites études de paysage avec architecture que Eckersberg peignit à Rome font penser aux esquisses romaines, à l’huile, de Valenciennes 63 (fig. 12). Certains élèves d’Eckersberg qui vinrent plus tard à Rome continuérent dans cette voie.
Le peintre norvégien Johan Christian Dahl arriva á Copenhague en 1811. Il avait tâté de toutes les sortes de paysages imaginables et possibles, depuis la «vue» et la fantaisie décorative sentimentale jusqu’aux études d aprés les vieux Hollandais, lorsque Eckersberg rentra de Rome en 1816 64. La rencontre avec Eckersberg fut décisive pour Dahl: elle l’affermit dans ses convictions qu’il était capital d’étudier d’aprés nature, et ses toiles acquirent une lumiére nouvelle. Aprés un séjour de quelques années à Dresde, Dahl gagna l’Italie en 1820-1821. Par l’entremise de Thorvaldsen il entra en contact avec Koch et Reinhart, mais rendit aussi visite á l’élève de Valenciennes, Achille-Etna Michallon. 71 A Naples, il put voir des peintures notamment de Chauvin qui lui procurèrent une intense satisfaction. 72 Le programme de Dahl est tout à fait en accord avec celui de l’école française lorsque, dans son journal, il écrit qu’il veut s’attacher aux grandes masses et étudier le ton et les effets, les éclairages et les clairs de lune. 73 Ses esquisses font voir des effets momentanés de lumière. Il porta un intérêt tout particulier á l’éclairage et aux mouvements de nuage 74, de même qu’il poussa le zèle jusqu’à faire l’ascension du Vésuve pour en observer de près une éruption de jour et de nuit (fig. 13). Tout son programme aurait pu avoir été établi par Valenciennes lui-même.
Dahl ne se plaignait pas du manque de majesté de la nature italienne, mais il a dû la sentir picturalement épuisée. D’etre lá, aux côtés de toute l’Europe du pinceau, à peindre ce paysage classique, ramena ses pensées vers la nature norvégienne, fraîche, inviolée, et il se rendit compte qu’il préférait peindre la nature dans son état primitif et sauvage. 77 Et voila qu’à la surprise d’un grand nombre Dahl se mit à exécuter des paysages norvégiens en Italie. 78 (fig. 14). Son style est en partie aussi influencé par le sens des couleurs et la conception de l’espace chez Koch, et même s’il continua à garder une tonalité d’ensemble, ses æuvres n’en furent pas moins qualifiées de «bariolées» par l’historien de l’art danois N.L. Høyen, son contemporain.
La collection de peintures Thorvaldsen était, lorsqu’elle fut ouverte au public en 1848, la premiére collection publique d’art moderne au Danemark. Elle est naturellement l’expression du goût personnel de Thorvaldsen, mais constitue un remarquable témoignage de la vie artistique à Rome dans la premiére partie du XIXe siècle. On peut regretter un peu aujourd’hui que Thorvaldsen, dans le domaine de la peinture de paysage, n’ait pas vu plus loin que ses propres conceptions de la forme et de l’idée pour s’intéresser aussi à un William Turner ou á un Camille Corot, et qu’il n’ait pas jugé l’esquisse (á l’huile) d’aprés nature digne de figurer dans un musée.
Last updated 11.05.2017