This is a summary of an article in the journal Meddelelser fra Thorvaldsens Museum (Communications from the Thorvaldsens Museum) 1970, p. 157-162.
For a presentation of the article in its original appearance, please see this facsimile scan.
Fig. 1. Leopold Robert: San Paolo fuori le mura
apres l’incendie, 1825.
Thorvaldsens Museum, B92.
Malgré les dommages consécutifs au temps, les «rafistolages» et les réfections plus ou moins heureuses dont elle avait fait l’objet, l’église San Paolo fuori le mura était encore au début du XIXe siécle un des plus vénérables monuments de l’Eglise romaine. Elle figurait immanquablément au programme des curiosités touristiques des environs de Rome, et longue, à vrai dire, serait la liste de toutes les célébrités qui, de Goethe au Suédois P.V. Kernell, ont exprimé dans leurs journaux intimes et autres écrits tout l’intérêt, voire l’enthousiasme qui fut le leur en découvrant la vieille basilique. Pour Goethe comme pour la plupart, cette église valait surtout par les inappréciables vestiges de l’Antiquité qu’elle abritait. L’intérêt et l’admiration allaient notamment aux magnifiques colonnades de la nef centrale.
Rien d’étonnant, dans ces conditions, que l’incendie qui, dans la nuit du 15 au 16 juillet 1823, détruisit en quelques heures de vastes parties de San Paolo, fut un des événements dont on parla le plus ces années-là, témoin la description donnée par Stendahl dans ses «Promenades dans Rome» à la date du 4 juillet 1828:
«Je visitai Saint-Paul le lendemain de l’incendie. J’y trouvai une beauté sévère et une empreinte de malheur telle que dans les beaux-arts la seule musique de Mozart peut en donner l’idée. Tout retragait l’horreur et le désordre de ce malheureux événement; l’église était encombrée de poutres noires fumantes et à demi brûlées; de grands fragments de colonnes fendues de haut en bas menaçaient de tomber au moindre ébranlement. Les Romains qui remplissaient 1’église étaient consternés.
C’est un des beaux spectacles que j’aie jamais vus; cela seul valait le voyage de Rome en 1823 et dédommageait de toutes les insolences des agents du pouvoir . . .» (Note 5).
Or, le lendemain de l’incendie, nous le savons avec certitude, c’est à Paris que se trouvait Stendahl, et non à Rome, oil il n’arriva qu’en décembre de la même année. Cette description est bien dans la maniére de Stendahl, par la liberté même qu’il adopte parfois à l’égard des faits. La partie archéologique en a été empruntée à Nibby, le compte rendu même de l’incendie inspiré des articles de Delécluze dans le Journal des Débats du 31 juillet et du 10 août 1823 (note 6).
L’importance de l’événement peut se mesurer à l’étendue des rumeurs et des débordements auxquels il donna lieu. Von Bunsen rapporte qu’il se colportait alors des bruits abominables attribuant aux Juifs la responsabilité de l’incendie (note 8). Qui voudra un rapport détaillé sur l’incendie et ses circonstances consultera avec profit Carlo Fea, un des plus éminents archéologues et spécialistes de l’Antiquité à cette époque. Il entreprit, aprés le sinistre, toute une série d’études sur l’histoire de San Paolo, études dont il communiqua les résultats à une séance de l’Accademia Archeologica, le 27 janvier 1825. Ces travaux furent ensuite réunis dans un opuscule, qui figura bientôt dans la bibliothéque de Thorvaldsen (note 7).
Les ruines ravagées par le feu attirérent foule de curieux, dont un grand nombre d’artistes, cahier de croquis à la main. Plusieurs d’entre eux avaient été à pied d’æuvre des la fin de l’incendie, et quantité de croquis, dessins et gravures nous donnent, å la comparaison, une idée tres précise sur l’ampleur de la catastrophe et l’état des lieux au lendemain de celle-ci. Bien connu et souvent reproduit, le dessin de Bartolomeo Pinelli, qui nous permet d’embrasser la ruine d’ouest en est, par-delà la nef centrale, jusqu’à la partie relativement épargnée (fig. 3) ‒ assurément, à en juger des documents conservés, la meilleure façon de considérer les restes de l’église dans leur ensemble. Dans son grand livre d’estampes, «Le Antichità Romane», Luigi Rossini inclut en dernier lieu quatre belles gravures de 1823, lesquelles fournissent peut-être l’image la plus complete de l’église juste aprés l’incendie. L’une de ces gravures est reproduite à la fig. 4.
On trouve aussi dans les collections de Thorvaldsen des témoignages importants du sinistre: un dessin d’Antonio Aquaroni et une peinture de Léopold Robert, chacun regardant les ruines sous un angle particulier ‒ au sens propre, puisque Robert se place à l’ouest (fig. 1), Aquaroni à l’est, en regardant de l’abside (fig. 6), mais aussi au figuré, Robert s’attachant au motif même de la ruine qu’il observe en peintre, tandis qu’Aquaroni enregistre avec précision et exactitude jusqu’au moindre détail, d un æil d’archéologue qui voit avant tout dans la ruine un vestige historique ‒ sans que, du reste, ce parti pris nuise å la valeur artistique du dessin.
Le dessin d’Aquaroni (Musée Thorvaldsen, inv. No D484) a été exécuté à la plume et au lavis. Il mesure 37,6×57,4 cm. Le mur tout pres du bord supérieur de la feuille porte en signature: Antonio Aquaroni dilineò. L’An 1823. En choisissant un des points de vue les moins traditionnels, probablement en se plaçant quelque part à l’intérieur de l’abside, le dessinateur nous montre bien l’aspect général de la partie centrale du chæur et du transept nord. Il nous dévoile par la même occasion un des traits architectoniques les plus curieux de San Paolo, trait passé le plus souvent inaperçu dans d’autres reproductions de cette église à l’époque: la présence indubitable d’un «double transept», le transept de San Paolo étant en effet divisé longitudinalement par un mur.
Il ressort du dessin d’Aquaroni que ce mur supplémentaire, détail pour le moins saugrenu dans l’histoire de la basilique qui remonte aux premiers âges du Christianisme, constitue une solution de fortune d’origine locale, cet ajout secondaire devant uniquement servir à étayer la tres puissante ferme du transept. Cette disposition s’est révélée plus nécessaire dans le cas de San Paolo que dans celui d’autres basiliques romaines du même type (l’ancienne église San Pietro, San Giovanni di Laterano), par le fait même que San Paolo possédait un transept bien plus large (dans la proportion de 1 pour 3 par rapport à la nef). Rapprochée du plan tres précis qu’Angiolo Uggeri fit dresser juste aprés l’incendie (fig. 5, note 12), la construction du mur de souténement n’offre plus de mystére. Par contre, on ne peut la dater au seul vu du dessin, si détaillé soit-il. Néanmoins, le Liber Pontificalis mentionne une construction semblable à l’époque du pape Innocent II (1130-1143), datation qui, au demeurant, n’est pas non plus démentie par la réutilisation de certains chapiteaux et architraves (note 14).
Une comparaison entre les nombreux dessins et gravures conservés prouve que la conception qu’Aquaroni et Rossini se font de ces ruines a grande valeur de source. Quelques divergences çà et là, ainsi dans la maniére d’interpréter les portraits-médaillons des papes, n’empêchent pas leurs descriptions détaillées et substantielles de former, avec l’intérieur de Piranesi (fig. 2), par exemple, un supplément fort bienvenu aux exposés indéniablement secs et schématiques qu’il nous reste d’avant l’incendie, tels les plans et tracés de Gutensohn et Knapp dans le gros ouvrage à planches «Denkmale der christlichen Religion oder Sammlung der æltesten christlichen Kirchen oder Basiliken Roms vom vierten bis zum drei- zehnten Iahrhundert», publié un an avant lmcendie de San Paolo.
Dans les collections de cette église se trouvent deux gravures d’Aquaroni qui représentent la ruine ravagée par le sinistre. L’une, oil les ruines sont vues de l’extrémité ouest, a été dessinée et gravée par l’artiste lui- même, tandis que l’autre, identique (hormis quelques personnages sur la gravure) au dessin qui est au Musée Thorvaldsen, donne Aquaroni comme dessinateur, mais a été gravée par Antonio Valli.
Quant au tableau de Léopold Robert, il montre plus d’intérét pour ce que les vestiges de San Paolo offrent de possibilités purement picturales que pour traduire la réalité des effets d’une catastrophe sur un vénérable monument historique. Un tableau d’architecture tel que celui-ci sortait quel- que peu du cadre des spécialités de Robert, mais un des premiers biographes du peintre, F. Feuillet de Conches, cite une lettre de Robert à son ami Navez, oil se dénote tout le plaisir que l’artiste a pris à exécuter cette peinture: «Le tableau est assez grand. Il n’y a pour ainsi dire pas de figures. Je me suis fort amusé à le faire, parce que c’était une occupation nouvelle pour moi de faire des lignes droites et des colonnes…» (note 17). Robert a été assez inspiré pour ne pas gâter la composition de sa toile en la surchargeant de détails. Cette oeuvre n’a certes pas valeur de source exceptionnelle: elle n en constitue pas moins dans son ensemble un tres fidéle constat.
Si l’on ignore quand et comment Thorvaldsen s’est procuré le dessin d’Aquaroni pour l’intégrer dans ses collections, l’on sait, par contre, que le sculpteur danois avait expressément formé le væu d’acquérir le tableau de Robert. En 1822 déjà, Thorvaldsen avait passé commande d’un tableau au peintre (note 20). Plus tard, il lui aurait rendu visite dans son atelier pour s’enquérir de sa commande et son regard se serait alors arrété sur le tableau représentant San Paolo aprés l’incendie, sur quoi il aurait prié Robert de lui en exécuter une copie dans un format un peu plus grand (note 21). Selon Feuillet de Conches, Robert s’était rendu à San Paolo peu aprés l’incendie et avait esquissé sur place quelques études en vue d’un tableau qui fut signé et daté de 1824. C’est cette toile que Thorvaldsen avait remarquée dans l’atelier de l’artiste; elle fut achetée par un Francois, M.de Beauvoir, et se trouve maintenant au musée de Neuchâtel. Mme Berthoud allégue que c est au frére cadet de Léopold, Auréle, qu il revint d’exécuter la réplique commandée par Thorvaldsen (note 22). A partir de 1822, date de son arrivée à Rome, Auréle se chargea de reprendre au crayon, à l’encre de Chine, à la sépia et autres procédés la majeure partie de la production de Léopold. Les copies furent exécutées en petit format, généralement au quart ou au cinquiéme des originaux, le travail s’effectuant sous le regard vigilant de l’aîné, à qui il arriva sans doute fréquemment de mettre la main à la pâte (note 23).
Ces dessins de petites dimensions, auxquels a présidé la direction attentive de Léopold, étaient, aux dires de Clément, «d’une absolue fidélité et traités avec le sérieux et la conscience que M. Auréle Robert met dans tout ce qu’il fait» (note 24). Léopold considérait cette tâche comme partie de la formation artistique de son cadet. Il espérait bien qu’ensuite, Auréle, ayant ainsi acquis les rudiments du métier, partirait et volerait de ses propres ailes.
C’était done l’usage dans l’atelier des deux fréres Robert qu’Auréle s occupât de reproduire les æuvres de Léopold, et il est presque certain qu’il en a été ainsi de la copie, commandée par Thorvaldsen, du tableau représentant San Paolo aprés l’incendie. L’exemplaire qu’on peut voir au Musée Thorvaldsen (inv. no B92. Huile. Rentoilé. 1,02×0,82 m) est signé, comme on peut le constater, sur la base de la colonne dans le coin inférieur gauche: Lld Robert Roma 1825. La premiére version du tableau de Robert ayant été apparemment vendue avant 1825, c’est peut-être l’exemplaire acquis par Thorvaldsen qui fut exposé au Palazzo Caffarelli sur le Capitole, lors de la visite du kronprinz de Prusse, en octobre 1828. Dans le répertoire de l’exposition dressé par Carl Josias Freiherr von Bunsen, on lit sous le no 77a: Robert (der ältere) Neufchateler, Inneres der Basilika St. Paul nach dem Brande. Sous le no 77 de ce même catalogue est enregistrée une oeuvre d’Auréle Robert, sous son propre nom: Robert (der jüngere) Neufchateler, Inneres von San Giovanni in Laterano (note 25).
La parenté d’Auréle Robert avec le tableau ‒ endossé et signé par Léopold ‒ semble confirmée par deux lettres. Dans la premiére, datée du 5 avril 1825 et adressée à Thorvaldsen (Mus. Thorvaldsen, archives de la correspondance, ct. 10, no 40, Léopold, devant l’imminence d’un voyage de son frére, réclame le paiement d’un tableau commandé par le sculpteur (L’autre tableau de Robert qui est en possession du musée, «Jeune Grec aiguisant son poignard», est daté de 1829). Et dans une lettre envoyée de Rome au baron Gérard le 4 janvier 1828, Léopold rapporte que son frére Auréle a exposé un tableau de San Paolo aprés l’incendie (note 27). Il ne peut s’agir, vu la date, de l’exposition qui eut lieu sur le Capitole en octobre de la même année, mais il y a de fortes chances pour que ce soit le même tableau.
Last updated 11.05.2017